La IIIème République en 10 peintures

6 – UNE NATION EST UNE ÂME

 

 Édouard Detaille (1848–1912), Le rêve, 1888, huile sur toile, Musée d'Orsay.
Édouard Detaille (1848–1912), Le rêve, 1888, huile sur toile, Musée d’Orsay.

Exécutée un an plus tard, Le Rêve d’Édouard Detaille est sans doute la peinture la plus célèbre représentant cette envolée du patriotisme dans l’opinion publique. On y voit de jeunes soldats conscrits de la IIIème République, pendant les manœuvres d’été, probablement en Champagne, assoupis et rêver aux gloires militaires passées de la France qui galvanisent leur désir de revanche future. Cette nostalgie patriotique guerrière voit à ce moment-là, entre 1887 et 1889, ses espoirs incarnés par le boulangisme, un mouvement politique nationaliste soutenu par le peintre et sur lequel nous reviendrons plus tard.

Dans le ciel où se dessinent les espoirs et les fiertés des jeunes conscrits apparaissent ainsi dans un cortège élyséen pêle-mêle les soldats de l’An II et d’Austerlitz (Première République et Premier Empire), du Trocadéro et de l’expédition d’Alger (Restauration), les bataillons de Magenta et de Solférino (Second Empire) et les rescapés de Gravelotte et de Reichshoffen (guerre de 1870). Dans cet élan collectif qui caractérise la jeunesse des conscrits prêts à sacrifier leur vie pour venger leur pays, le tableau semble ainsi faire écho à cette phrase d’Ernest Renan:  » Une nation est une âme« .

 

 

7 – L’ÉCOLE LAÏQUE ET OBLIGATOIRE

 

Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), En classe, le travail des petits, 1889, Ministère de l’Éducation nationale.
Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), En classe, le travail des petits, 1889, Ministère de l’Éducation nationale.

Cette peinture livre un instantané rassurant des bienfaits de l’école républicaine. Elle est exécutée quelques années seulement après la promulgation des lois Jules Ferry en 1881 et 1882, qui, dans la continuité de la loi Guizot de 1833, instaurent la gratuité de l’école primaire, l’obligation scolaire pour tous les enfants entre six et treize ans et la laïcité de l’enseignement public. Alors que l’anticléricalisme s’affirme, il s’agit de soustraire les enfants à l’influence de l’Église catholique et de former des futurs citoyens acquis au nouveau régime qui en est encore à ses balbutiements. Dans une France meurtrie par la guerre de 1870 et en quête d’unification nationale, les instituteurs sont donc une nouvelle figure de l’autorité d’une importance cruciale. Ils sont appelés les « hussards noirs de la République« ,une expression forgée par l’écrivain Charles Péguy.

 

8 – L’ÉCOLE, VITRINE DU PATRIOTISME

 

Albert Bettanier (1851-1932), La tache noire, 1887, huile sur toile, Deutsches Historisches Museum, Berlin.
Albert Bettanier (1851-1932), La tache noire, 1887, huile sur toile, Deutsches Historisches Museum, Berlin.

L’école républicaine est aussi le lieu où se forge la conscience militaire, à ce moment-là marquée par le désir de revanche contre la Prusse et le sentiment d’injustice lié à la perte de l’Alsace-Moselle. Les habitants de ces deux départements qui ont choisi la nationalité française en 1872 doivent partir s’installer à Nancy ou plus loin à Paris, Metz et Strasbourg appartenant désormais à l’Allemagne. Ce déménagement forcé sera aussi vécu par le peintre, Albert Bettanier, qui a représenté à plusieurs reprises les conséquences morales de l’annexion aussi bien dans les familles qu’ici, à l’école. Ce tableau présente, à côté de l’instituteur qui montre avec sa règle les deux provinces perdues, un élève en uniforme de bataillon scolaire, une formation mise en place en 1881 et 1882 dans les écoles de garçons par Paul Bert, alors ministre de l’Instruction publique, et qui instaure l’obligation pour les élèves masculins de s’exercer à la marche, au tir et au maniement des armes. Les exercices militaires sont remplacés par des travaux d’aiguille dans les écoles de filles.

9 – LE COMPLOT BOULANGISTE

 

Jean-Eugène_Buland_-_Propagande
Jean-Eugène Buland (1852–1926), Propagande,1889, huile sur toile, Musée d’Orsay.

 

Ce tableau du peintre naturaliste Jean-Eugène Buland représente une scène de propagande boulangiste, une mouvance politique qui ébranla la vie politique française  pendant trois années entre 1887 et 1889 et qui résume bien le climat politique de cette période. Ancien militaire aux convictions nationalistes, Georges Boulanger fut nommé ministre de la Guerre en 1886 et quitta le gouvernement avec la chute du ministère Goblet, en mai 1887. C’est alors qu’il devint une figure extrêmement populaire fédérant ceux qui voulaient en finir avec le régime en place- jouant sur l’ambiguïté pour fédérer à la fois les révisionnistes républicains et les royalistes-  et incarnant les espoirs de ceux qui sont nostalgiques de la gloire d’antan et souhaitent en découdre avec les Prussiens. Élu député du Nord en avril 1888, il devient le chef du camp nationaliste à la Chambre et mène une campagne à charge contre le gouvernement, exigeant notamment la révision de la Constitution et la dissolution de l’assemblée parlementaire. Le 12 juillet, il s’affronte avec le Président du Conseil, Charles Floquet, un affrontement qui finira en duel, comme c’était l’usage à l’époque. Ayant démissionné de sa charge de député, Boulanger se fait de nouveau plébisciter à l’occasion de nouvelles élections partielles. A Paris, le boulangisme, mouvement composite, est davantage populaire et républicain, tandis qu’en province, il est avant tout monarchiste et appelle au coup d’état.

Face à l’agitation qui saisit le pays, en passe de porter le général nationaliste au pouvoir, le gouvernement réagit en dénonçant le « complot boulangiste », et lance un mandat d’arrêt contre sa personne en avril 1889. Boulanger s’exile en Belgique, où il se fait rapidement oublier tout comme son mouvement, et il mourra quelques années plus tard en se suicidant sur la tombe de sa maîtresse.

10 – L’ESSOR DE LA PRESSE RÉPUBLICAINE

 

Henri Gervex (1852-1929), A "La république française",1890, huile sur toile, Musée d'Orsay.
Henri Gervex (1852-1929), A « La république française »,1890, huile sur toile, Musée d’Orsay.

 

Parmi les premières lois importantes prises par le gouvernement de Jules Grévy, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté d’écrire et de publier des journaux périodiques annonce l’âge d’or de la presse, favorisé par l’accélération des moyens de transport et de communication. La presse n’est plus simplement hebdomadaire ou mensuelle, elle est désormais majoritairement quotidienne. En 1885, 1 540 titres de journaux différents sont déjà tirés à Paris, un chiffre qui monte rapidement et s’élève déjà à 1 665 en 1887.  La “République française” est l’un de ces quotidiens, fondée en 1871 par Léon Gambetta – dont le buste trône ici sur la cheminée- pour servir la cause du parti républicain et servir de relai avec la presse de province. La plupart des contributeurs du journal sont d’anciens membres du gouvernement de la défense nationale qui dura de septembre 1870 à février 1871, avant la mise en place des premières élections remportées par les royalistes. L’un de ces contributeurs, Charles de Freysinet, résumera ainsi dans ses Souvenirs l’ambiance qui régnait à la rédaction: “ M. Gambetta nous recommanda de nous considérer chacun, non comme un journaliste, mais comme un futur membre du gouvernement ; nous devions exposer nos idées avec le sérieux, la gravité, la maturité qui conviennent à des hommes prêts à les appliquer“.

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3 pensées sur “La IIIème République en 10 peintures

  • 17 janvier 2018 à 1 h 26 min
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    Vous commencez l’année avec un nouveau site, un nouvel article ! Il y a eu du travail pendant les vacances !

    J’ai apprécié ce petit voyage dans cette troisième république du XIXème siècle.
    Une remarque sur le tableau de Detaille. Pour moi il est assez angoissant avec le recul de l’histoire : les soldats qui pensent aux « gloires » militaires de leurs pères en ignorant que, pour cette revanche qu’ils espèrent, leurs enfants se reposeront par la suite sur les mêmes terres du nord est de la France, mais eux pour toujours… (je vais bien dormir moi ce soir ^^)

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    • 17 janvier 2018 à 11 h 02 min
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      Merci, oui et la nouvelle vidéo sortira après-demain normalement! Oui quand on sait ce qu’il va se passer ensuite ça a un côté glaçant…

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  • 22 mai 2018 à 16 h 45 min
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    Une amie m’a fait découvrir votre site avec l’article « Pourquoi il n’y a pas eu de femmes médecins… »
    Mon fils prépare le concours de prof de lycée pro, je lui envoie direct votre article ci-dessus car la IIIe République est au programme.
    J’aime bien l’idée d’apprendre l’histoire avec des sources iconographique (même si les peintures peuvent trahir) car cela permet de mieux représenter les gens, les événements.
    Merci de votre excellent travail de rédaction et qui nous promène dans les musées.

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