La IIIème République en 10 peintures

Proclamée à la hâte dans la défaite face à la Prusse, la IIIème République, dont les débuts ont été accompagnés à la fois du plus grand espoir et de la plus grande instabilité, est, pour citer l’historien Vincent Duclerc, le moment de notre Histoire où est véritablement née l’idée de la France comme nation politique.  Aujourd’hui, on revient sur les débuts de cette période-charnière, qui changera la perception de notre pays par lui-même et mènera aux deux guerres mondiales, à travers dix peintures emblématiques…

1 – DES DÉBUTS CHAOTIQUES

 

Adolphe Alexandre Lesrel (1839-1929), Le lis est mort, 1873, huile sur toile,collection privée.
Adolphe Alexandre Lesrel (1839-1929), Le lis est mort, 1873, huile sur toile,collection privée.

Cette toile représentant une femme en train d’arroser une fleur fanée et desséchée pourrait paraître hors-sujet au vu de l’article, mais il n’en est rien. Celle-ci se réfère en fait à un épisode très précis des débuts de la IIIème République, qui a bien failli changer le cours de l’Histoire de France, lorsqu’en 1873, la monarchie échoue de justesse à être rétablie dans notre pays. En effet, la majorité politique qui émerge lors des élections de 1871 n’est pas une majorité républicaine, mais un ensemble composite d’orléanistes, favorables à une monarchie constitutionnelle incarnée par  le comte de Paris, héritier du roi Louis-Philippe déchu en 1848, de légitimistes prônant le retour de la monarchie absolue en la personne du comte de Chambord héritier des Bourbons, et bientôt de bonapartistes, tous trois mettant de côté leur divergence autour du projet de restaurer la monarchie. Après une première tentative avortée en 1871, l’espoir paraît très proche d’aboutir en 1873, alors que le comte de Chambord, jusqu’à présent intransigeant sur la question du drapeau blanc, parait prêt à s’allier aux orléanistes. Mais un compte-rendu fallacieux affirme que  le celui-ci consent à adopter le drapeau tricolore, ce qui ne manque pas de faire réagir l’intéressé dans une lettre qu’il publie dans un journal légitimiste où il réaffirme son attachement inébranlable au drapeau blanc, ce qui met brutalement fin aux négociations le 31 octobre. Ainsi, le mandat du président royaliste Patrice de Mac-Mahon, soutenu par les orléanistes, initialement prévu pour ne durer que quelques mois jusqu’au rétablissement de la monarchie, sera reconduit pour sept ans en novembre 1873.

Le lis du tableau apparaît donc ici comme une allégorie de la monarchie absolue, pour laquelle tout espoir de rétablissement semble anéanti, à travers la référence à son emblème, la célèbre fleur-de-lys.

 

2 – LA MONTÉE DE L’ANARCHISME

 

Jean Béraud (1849-1935), A la salle Graffard, 1884, huile sur toile, collection privée.
Jean Béraud (1849-1935), A la salle Graffard, 1884, huile sur toile, collection privée.

 

Alors qu’aussitôt après la répression de la Commune de Paris en 1871, ses principaux meneurs sont partis, contraints ou forcés, en exil, les années 1880 voient le retour de la plupart d’entre eux dans la capitale, ce qui ne se fait pas sans agitation politique. Dans les quartiers populaires de Paris  l’esprit de révolte contre le régime en place est toujours présent et est ravivé par le retour de ces anciens “héros du peuple”, quand bien même le régime s’est pourtant bien plus “républicanisé” avec l’arrivée du gouvernement de Jules Grévy en 1879. C’est le cas de la rue de Ménilmontant près du Père Lachaise, où est situé la salle Graffard, une salle de bal servant occasionnellement à des réunions politiques et l’un des quartiers généraux de l’anarchisme parisien. Le peintre Jean Béraud, habituellement connu pour ses scènes anecdotiques de la vie parisienne, a très probablement assisté à l’une de ces réunions, donnant à l’orateur anarchiste qui s’échine à la tribune les traits de son ami l’acteur Coquelin. Les spectateurs sont ici bien loin des badauds aisés habituellement représentés par Béraud, puisqu’il s’agit ici d’ouvriers en blouse, de travailleurs et de gens de modeste condition, parmi lesquels se tient une seule femme, que le peintre a affublée d’une écharpe rouge en clin d’œil à la célèbre militante anarchiste Louise Michel qui, à son retour en France en 1880 après avoir été déportée en Nouvelle-Calédonie en 1873, participa à plusieurs réunions à la salle Graffard. On assiste ici à l’atmosphère houleuse, enfumée et échauffée d’une réunion politique parfaitement retranscrite par le peintre dans un souci de minutie qui lui valut l’admiration  au Salon.

 

3 – LES SYMBOLES NATIONAUX

 

Jean Béraud (1849-1936),La Marseillaise , 1880, huile sur toile, collection privée.
Jean Béraud (1849-1936),La Marseillaise , 1880, huile sur toile, collection privée.

 

Cette seconde toile de Jean Béraud illustre la commémoration de la prise de la Bastille en plein Paris de la Belle-Epoque. La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789,   a été instituée au rang de journée nationale dès l’année qui suivit, en 1790, mais cette commémoration fut supprimée à l’avènement de Napoléon Bonaparte. Les législateurs républicains qui ont définitivement pris le pouvoir après la chute de Mac-Mahon en janvier 1879 vont prendre une série de mesures visant à renforcer l’identité nationale de la République auprès des citoyens, après pratiquement dix ans d’incertitudes et d’instabilité. Peu après les nouvelles élections organisées dans la foulée de la démission de Mac-Mahon, ils s’empressent tout d’abord de consacrer la Marseillaise comme hymne national, et en 1880, pour marquer les dix ans de l’instauration de la République, le 14 juillet est rétabli comme fête nationale.

Ce tableau rend ainsi compte du renouveau du  patriotisme populaire et républicain, encouragé par le gouvernement, qui prit place dans le cœur des Français après la période d’introspection et d’instabilité qui suivit la défaite contre la Prusse, alors que le nouveau régime commence à être consolidé.

 

4 – UNE NOUVELLE ARMÉE

 

Marius Roy (1853 - 1921), La part des pauvres, 1886, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Marius Roy (1853 – 1921), La part des pauvres, 1886, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Après l’instauration de la IIIème République, l’armée, tenue pour responsable de la défaite de 1870 face à la Prusse, doit redorer son blason auprès de la population dans le souci d’éviter une nouvelle guerre civile après les désastres de la Commune de Paris de 1871. La peinture militaire s’écarte alors des conventions guerrières héroïques d’autrefois pour une vision plus anecdotique, inaugurée par Édouard Detaille. Ce tableau de propagande militaire représentant des cuirassiers en uniforme illustre ainsi une vision sociale de l’armée française, qui partage avec les plus démunis, très rarement représentée en peinture.

 

5 – L’ARMÉE PATRIOTE

 

Victor Prouvé (1858-1943),Le départ du soldat ou Pour la patrie, 1887, huile sur toile, Collection de la salle d'honneur du 26°RI, , musée Lorrain, Nancy.
Victor Prouvé (1858-1943),Le départ du soldat ou Pour la patrie, 1887, huile sur toile, Collection de la salle d’honneur du 26°RI, , musée Lorrain, Nancy.

Néanmoins, l’armée n’a pas seulement à cœur de redorer son image auprès des populations, sous cette IIIème République, elle est également associées aux espoirs de venger l’offense subie auprès de la Prusse. On reconnait sur ce tableau le célèbre uniforme au pantalon garance qui sera porté par l’infanterie française jusqu’en 1915, année durant laquelle il est remplacé par le célèbre uniforme bleu-gris, plus discret et plus adapté à la guerre de tranchées qui vient de s’installer. Cette scène est imaginée par le peintre Victor Prouvé en 1887, lorsque le sentiment nationaliste atteint son point culminant en France, tout comme le désir d’en découdre avec les Allemands, et de nombreux artistes se consacrent alors à l’exaltation du patriotisme et de l’abnégation du soldat prêt à mourir pour sa patrie, qui trouvera une tragique réalité en 1914. Ainsi, les adieux de ce fantassin du 26ème RI, pour lequel le ciel tourmenté en arrière-plan ne laisse rien présager de bon, possèdent une caractère tristement prémonitoire.

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3 pensées sur “La IIIème République en 10 peintures

  • 17 janvier 2018 à 1 h 26 min
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    Vous commencez l’année avec un nouveau site, un nouvel article ! Il y a eu du travail pendant les vacances !

    J’ai apprécié ce petit voyage dans cette troisième république du XIXème siècle.
    Une remarque sur le tableau de Detaille. Pour moi il est assez angoissant avec le recul de l’histoire : les soldats qui pensent aux « gloires » militaires de leurs pères en ignorant que, pour cette revanche qu’ils espèrent, leurs enfants se reposeront par la suite sur les mêmes terres du nord est de la France, mais eux pour toujours… (je vais bien dormir moi ce soir ^^)

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    • 17 janvier 2018 à 11 h 02 min
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      Merci, oui et la nouvelle vidéo sortira après-demain normalement! Oui quand on sait ce qu’il va se passer ensuite ça a un côté glaçant…

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  • 22 mai 2018 à 16 h 45 min
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    Une amie m’a fait découvrir votre site avec l’article « Pourquoi il n’y a pas eu de femmes médecins… »
    Mon fils prépare le concours de prof de lycée pro, je lui envoie direct votre article ci-dessus car la IIIe République est au programme.
    J’aime bien l’idée d’apprendre l’histoire avec des sources iconographique (même si les peintures peuvent trahir) car cela permet de mieux représenter les gens, les événements.
    Merci de votre excellent travail de rédaction et qui nous promène dans les musées.

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