Quand un cadavre fut couronné reine [Les couples de l’Histoire]

Quand on parle d’histoires d’amour éternel, on pense immédiatement à des couples mythiques couronnés par la littérature comme Roméo et Juliette, Paolo et Francesca ou bien encore Tristan et Iseult. Pourtant, l’Histoire aussi nous a fourni quelques uns de ces incroyables épisodes amoureux, comme la  relation romanesque entre le jeune prince du Portugal, Pedro, et la belle Inés de Castro, au XIVème siècle, qui a donné lieu à une légende des plus macabres…

Inés de Castro est une jeune noble castillane qui arrive au royaume du Portugal en 1339 en tant que demoiselle de compagnie de la suite de Constance de Castille, envoyée pour épouser le jeune prince Pedro. Mais, si le mariage a bien lieu, le jeune marié tombe immédiatement sous le charme de la demoiselle de compagnie de sa nouvelle épouse, et tous deux entament bientôt une relation amoureuse secrète et passionnée (précisons qu’ils étaient alors âgés de 19 et 14 ans).  Cette relation ne demeure cependant pas secrète très longtemps et les rumeurs vont bon train à ce sujet, si bien que cette liaison finit par arriver aux oreilles du père de Pedro, le roi Alphonse IV, qui la perçoit d’un mauvais œil, non seulement parce qu’elle lui fait craindre que son fils ne néglige son épouse et ne conçoive pas d’héritier légitime,  mais aussi parce qu’elle menace sa propre politique, puisque sa relation avec Inès rapproche Pedro de l’influence du puissant clan des nobles castillans présents à la cour. Après avoir attendu un temps que cet amour s’éteigne de lui-même, et constatant après plusieurs années que les deux jeunes gens sont toujours épris l’un de l’autre comme au premier jour, le roi Alphonse se résout en 1344 à envoyer Inés en exil au monastère d’Albuquerque où elle a été élevée, mais cette séparation ne suffit pas à éloigner les tourtereaux qui entament alors une correspondance passionnée, et cet exil sera de toutes façons de courte durée puisqu’en 1345, la reine Constance meurt en couches après avoir donné naissance à l’héritier, le prince Ferdinand, et que Pedro, devenu veuf, en profite pour faire revenir Inès auprès de lui.

Eugénie Servières (1786-1855), Inès de Castro se jetant avec ses enfants aux pieds d'Alphonse IV roi de Portugal, pour obtenir la grace de don Pedro, son mari, 1822, huile sur toile, musée du château de Versailles.
Eugénie Servières (1786-1855), Inès de Castro se jetant avec ses enfants aux pieds d’Alphonse IV roi de Portugal, pour obtenir la grace de don Pedro, son mari, 1822, huile sur toile, musée du château de Versailles.

Au grand dam du roi, les deux jeunes gens s’installent ensemble au Nord du pays pour vivre leur amour au grand jour, et Inès donne quatre enfants à Pedro, dont deux garçons en pleine santé, Jean (né en 1349) et Denis (né en 1354), tandis que l’héritier légitime, le prince Ferdinand, est un enfant chétif  à la santé fragile. Le couple revient ensuite à la capitale, Coimbra, au moment où éclate au royaume de Castille voisin une crise politique majeure : le roi Pierre Ier, surnommé Pierre le Cruel, accède au trône, et le clan des Castro prend la tête de l’opposition contre lui et intercède auprès du prince Pedro pour que celui-ci se déclare comme héritier au trône castillan, ce qui envenime les relations entre les deux royaumes qui ne seront apaisées que sur l’intervention du roi Alphonse IV en personne, connu pour sa politique de neutralité vis-à-vis des royaumes espagnols limitrophes. Néanmoins, cette crise politique décide finalement Alphonse IV à commanditer, sur l’insistance de ses conseillers, l’assassinat d’Inés, et, profitant que Pedro était parti chasser, il envoie trois  seigneurs tuer la jeune femme le 7 janvier 1355 au monastère de Santa Clara-a-Velha  à Combria, où le couple résidait avec ses enfants. Quand il l’apprend, le prince Pedro entre en conflit ouvert avec son père, qui décède deux ans plus tard, en 1357.

Karl Bryullov (1799–1852), La mort d'Inès de Castro, 1834, huile sur toile, Musée russe de Saint-Pétersbourg.
Karl Bryullov (1799–1852), La mort d’Inès de Castro, 1834, huile sur toile, Musée russe de Saint-Pétersbourg.

Devenu roi sous le nom de Pierre 1er, Pedro annonce par la proclamation de Cantanhede en 1360 qu’il avait secrètement épousé Inés sept ans plus tôt, un évènement attesté par le témoignage de l’entourage proche du couple, ce qui fait de celle-ci la reine consort à titre posthume. La légende raconte alors qu’il fit exhumer le cadavre de sa bien-aimée et la fit couronner en 1361 dans une cérémonie en grande pompe lors de laquelle il oblige les courtisans à lui baiser la main.  Par la suite, il pourchassa de sa soif  de vengeance les trois seigneurs responsables de l’assassinat d’Inés, réfugiés en Castille mais Pierre 1er de Castille, avec lequel il est visiblement réconcilié, négocie leur extradition, et Pedro fait assassiner deux d’entre eux sous ses yeux, par un bourreau qui leur arrache le cœur en plein banquet, tandis que le troisième parvient à s’échapper en France et recevra finalement l’absolution du roi sur son lit de mort, des années plus tard.

Pierre Charles Comte (1823–1895), Couronnement d'Inès de Castro en 1361, v.1849, huile sur toile, Musée des beaux-arts de Lyon.
Pierre Charles Comte (1823–1895), Couronnement d’Inès de Castro en 1361, v.1849, huile sur toile, Musée des beaux-arts de Lyon.

Après cela, Pedro fit ensuite construire, dans le transept de l’église abbatiale d’Alcobaça, deux tombeaux monumentaux destinés à accueillir le couple et il y fait transférer le corps d’Inès après lui avoir organisé des funérailles royales. A l’origine placés côte à côte, les deux tombeaux furent ensuite déplacés et se font depuis lors face, si bien qu’une légende encore vivace aujourd’hui veut qu’au moment du Jugement dernier, Inès et Pedro pourraient ainsi se retrouver immédiatement à leur réveil et s’embrasser pour l’éternité.

Inès reposant sa tête sur les mains des anges, photographie d'André Luis, licence Creative Commons.
Inès reposant sa tête sur les mains des anges, photographie d’André Luis, licence Creative Commons..

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