Quand on enterra des momies du Louvre avec des révolutionnaires

Certaines des momies rapportées d’Egypte par Napoléon en 1801 ont connu un destin rocambolesque après leur arrivée en France… Retour sur une invraisemblable méprise au cœur des grands remous politiques du XIXème siècle.

De sa campagne d’Egypte menée entre 1798 et 1801, Napoléon Bonaparte rapporta un lot de momies égyptiennes dont il confia la garde au muséum du Louvre inauguré en 1793 et qu’il renomme musée Napoléon en 1802. Malheureusement, les momies ne supportèrent ni la traversée de la Méditerranée ni le climat humide des bords de Seine et elles se dégradèrent rapidement si bien que dès le mois de juillet 1827, en raison de leur état de décomposition avancée, elles furent enterrées près du Palais du Louvre dans le jardin de l’Infante, côté Seine.

Jardin de l'Infante devant le Palais du Louvre. Crédits photos : bslax28 CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.
Jardin de l’Infante devant le Palais du Louvre. Crédits photos : bslax28 CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.

Trois ans plus tard, au mois de juillet 1830, éclate la révolution des Trois glorieuses, trois journées durant lesquelles Paris fut secouée par des émeutes sanglantes se soldant par la victoire des insurgés et l’abdication du roi Charles X.  Les affrontements violents firent environ 200 morts parmi l’armée du roi commandée par le maréchal Marmont et 800 morts parmi les révolutionnaires. En raison des fortes chaleur, les corps ne purent être rapatriés et furent enterrés à la hâte près de l’endroit où ils étaient tombés. Pour 32 d’entre eux, ce fut près du Palais du Louvre et plus précisément, près du jardin de l’Infante.

Eugène Delacroix (1798-1863), La liberté guidant le peuple, 1830, huile sur toile, musée du Louvre. Représentation des Trois Glorieuses.
Eugène Delacroix (1798-1863), La liberté guidant le peuple, 1830, huile sur toile, musée du Louvre. Représentation des Trois Glorieuses.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le nouveau roi Louis-Philippe, représentant de la branche d’Orléans placé sur le trône par les députés libéraux ayant voté une monarchie constitutionnelle à la suite de ces évènements, décida, une fois le calme revenu en 1830, de construire une sépulture digne de ce nom aux insurgés de Juillet, auxquels il devait bien évidemment son arrivée au pouvoir.  Une crypte abritant deux caveaux fut construite à cette fin à l’emplacement symbolique de l’ancienne prison de la Bastille, dans la partie basse d’un monument haut de 52 mètres édifié en l’honneur des insurgés et sur lequel furent gravés les noms de chacun d’entre eux, la colonne de Juillet. Le transfert des corps eut lieu en grande pompe à la date anniversaire du 27 juillet 1840, accompagné d’une fanfare de 200 musiciens jouant la Grande symphonie funèbre et triomphale commandée par le ministre de l’intérieur au compositeur Hector Berlioz tout spécialement pour cette occasion. Malheureusement, les fossoyeurs embarquèrent par erreur deux momies situées un peu à l’écart des autres parmi les dépouilles des révolutionnaires du jardin de l’Infante, une méprise qui passa alors inaperçue.  Après qu’une nouvelle révolution, cette fois-ci contre le pouvoir de Louis-Philippe, ait éclaté en 1848, soldée par la fin de la monarchie constitutionnelle et l’avènement de la République, le trône de Louis-Philippe fut brûlé près de la place qu’il avait fait construire (ironie du sort, quand tu nous tiens),  et surtout, le second caveau de la colonne fut complété par le transfert des corps des nouveaux martyrs de la cause révolutionnaire.

Charles-François Daubigny (1817–1878), Cérémonie de l'inauguration de la colonne de juillet, 1840. Esquisse. Metropolitan Museum of Art.
Charles-François Daubigny (1817–1878), Cérémonie de l’inauguration de la colonne de juillet, 1840. Esquisse. Metropolitan Museum of Art.

Ce n’est que plus d’un siècle plus tard, lors de la réfection des caveaux en 1947, que l’on s’aperçut que le nombre de corps reposant dans les caveaux était supérieur de 2 au nombre de noms écrits en l’honneur des combattants, et que l’erreur commise en 1840 éclata au grand jour. Néanmoins, faute d’une autre sépulture, il fut décidé que les momies resteraient là, côtoyant ainsi les révolutionnaires de 1830 et 1848 pour l’éternité.

Momie d'homme, époque ptolémaïque, IIIe - IIe siècle avant J.-C. Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes. Crédits photos : Vania Teofilo CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.
Momie d’homme, époque ptolémaïque, IIIe – IIe siècle avant J.-C. Musée du Louvre. Crédits photos : Vania Teofilo CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.

Classée monument historique depuis 1995, la colonne de Juillet, est  aujourd’hui devenue un témoignage incontournable des évènements politiques qui ont secoué le XIXème siècle. Quant au musée du Louvre, celui-ci n’expose désormais dans son département des Antiquité égyptiennes qu’une seule et unique momie humaine, datant du IIIème ou IIème siècle avant Jésus-Christ, et qui figure parmi les stars du musée le plus célèbre du monde.

Colonne de Juillet, place de la Bastille. Crédits photo : Azadeh.farshidi CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.
Colonne de Juillet, place de la Bastille. Crédits photo : Azadeh.farshidi CC BY-SA 3.0. Source: Wikicommons.

 

 

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Une pensée sur “Quand on enterra des momies du Louvre avec des révolutionnaires

  • 4 mai 2018 à 11 h 15 min
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    Le plus fou c’est de les avoir laisser ensembles !
    Merci pour l’histoire en tout cas.

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