Les catacombes de Rome ont-elles abrité des messes secrètes?

Si les catacombes ont toujours été entourées de nombreux mythes et légendes liés à leur nature de sépultures et d’environnements souterrains insondables, celles de Rome ont la réputation d’avoir, au moment de la persécution des premier chrétiens, hébergé des messes secrètes dans leurs sinistres couloirs… Mais cette légende est-elle fondée? On démêle aujourd’hui le vrai du faux sur les catacombes romaines et leur origine.

Si beaucoup connaissent l’origine des catacombes de Paris, installées dans les anciennes carrières souterraines pour vider les cimetières parisiens qui débordaient littéralement, l’origine de celles de Rome, bien plus anciennes, est assez méconnue. En effet, alors que la civilisation étrusque, ancêtre du peuple romain, avait pour coutume d’enterrer ses morts, les Romains, eux, ont longtemps préféré la pratique de la crémation, les défunts patriciens se faisant incinérer : seul les plus pauvres étaient jetés dans des fosses communes et les Juifs étaient les seuls à pratiquer l’inhumation. Mais  à partir du milieu du Ier siècle, la religion chrétienne se développa de manière clandestine à Rome, amenant avec elle un retour à la pratique de l’inhumation, justifiée en ce que les chrétiens croyaient en la résurrection des corps au moment du Jugement dernier et devaient pour cela donner à chaque défunt un lieu de repos individuel où il attendrait le retour du Christ, l’empilement des corps dans les fosses communes aussi bien que la crémation étant là évidemment deux obstacles à cette résurrection.

Alejandro Ferrant y Fischermans (1843–1917), L'enterrement de Saint Sébastien, 1877, huile sur toile, musée du Prado.
Alejandro Ferrant y Fischermans (1843–1917), L’enterrement de Saint Sébastien, 1877, huile sur toile, musée du Prado.

Or, la loi romaine de l’époque était stricte: nul n’a le droit d’enterrer les morts dans l’enceinte de la ville, et la plupart des chrétiens faisant partie des populations les plus pauvres voire des esclaves, ils n’avaient pas les moyens d’acheter de vastes terres en campagne pour y installer des cimetières. C’est pourquoi les chrétiens creusèrent des galeries souterraines le long des voies romaines situées à l’extérieur de la ville, dans une roche volcanique malléable et facile à excaver, le tuf, reprenant même dans certains cas d’anciennes carrières autrefois utilisées par les Romains. Au total, environ une soixantaine de cimetières en hypogée, c’est-à-dire souterrains, furent aménagés aux environs de Rome à partir du IIème siècle, cette configuration permettant d’utiliser au maximum le peu de terre que les chrétiens pouvaient s’acheter, en développant leur cimetière à la verticale autant qu’à l’horizontale.

Catacombes de Domitillia. Crédits photos : Dennis Jarvis licence CC BY-SA 2.0. Source : Wikicommons.
Catacombes de Domitilla. Crédits photos : Dennis Jarvis licence CC BY-SA 2.0. Source : Wikicommons.

Ces catacombes étaient par conséquent constituées d’un réseau complexe de galeries étroites et enchevêtrées où les corps étaient placés dans des niches creusées dans les parois et fermées, ces couloirs s’élargissant à certains endroits pour former des chambres funéraires, des chapelles ou encore des sépultures familiales. Loin d’être des lieux sinistres, les catacombes abritaient également des décorations et des fresques, qui reprennent de nombreux éléments de l’iconographie païenne tels que les vignes, les paons, le raisin ou encore le berger, auxquels les chrétiens donnent une signification religieuse nouvelle (le pasteur renvoie à l’image du Christ, la vigne symbolise l’union entre Dieu et les membres de son église etc…), mais ces décorations font aussi apparaître des symboles nouveaux comme le poisson qui représente l’eucharistie. Cet art riche en symboles utilisé par les premiers chrétiens est appelé art paléochrétien, et c’est d’ailleurs dans les catacombes de Priscille à Rome que l’on trouve la plus ancienne représentation de la Vierge Marie, datant du début du IIIème siècle.

Vierge Nikopoia (qui porte la victoire) entourée de Saints, 528, catacombes de Commodille.
Vierge Nikopoia (qui porte la victoire) entourée de Saints, 528, catacombes de Commodille.

Néanmoins, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’existence de ces lieux funéraires était loin d’être secrète : les chrétiens possédaient légalement ces galeries, dont les autorités connaissaient l’existence. En effet, la loi romaine offre à tous le droit d’avoir une sépulture digne de ce nom, et rien ne justifiait de priver les chrétiens de ce droit, quand bien même leurs pratiques funéraires, à l’instar de celles des Juifs, étaient différentes de celles de la majorité de la population. En vérité, les chrétiens n’étaient que rarement inquiétés lorsqu’ils pratiquaient leur religion, l’empire romain étant relativement tolérant avec ces pratiques, d’autant que le christianisme n’est à l’époque qu’une des nombreuses sectes présentes à Rome, les légionnaires romains étant nombreux à ramener avec eux dans leur pays des pratiques et croyances découvertes en Orient ou ailleurs. Ainsi, les persécutions à leur encontre concernent des périodes au final assez limitées : sous Néron entre 64 et 67, sous Domitien en 96, sous Dèce de 249 à 251, sous Valérien Ier de 253 à 260 et sous Dioclétien entre 303 et 305.

Jean-Léon Gérôme (1824 – 1904), La dernière prière des martyrs chrétiens, 1883, huile sur toile, Walters Art Museum.
Jean-Léon Gérôme (1824 – 1904), La dernière prière des martyrs chrétiens, 1883, huile sur toile, Walters Art Museum.

De plus, même si les catacombes furent construites au cours du IIème siècle, une période donc relativement tranquille pour les Chrétiens, rien n’indique qu’ils n’aient pas pu y enterrer leurs morts ce même pendant les épisodes de persécution, puisque ce n’est pas tant pour leur religion que pour des motifs d’ordre public que ces-derniers furent massacrés. Ainsi, c’est dans les catacombes que furent enterrés de nombreux martyrs tués par les autorités romaines, près desquels les fidèles voulaient se faire enterrer.  En outre, les catacombes devinrent aussi à partir du IIIème siècle et du pontificat de Zéphyrin le lieu d’accueil des sépultures des papes de l’église, enterrés pendant près d’un siècle dans la catacombes de Saint-Calixte, faisant de ce lieu le premier cimetière officiel de l’église de Rome.

Jules Cyrille Cavé (1859-1946), Martyr aux catacombes, 1886, huile sur toile.
Jules Cyrille Cavé (1859-1946), Martyr aux catacombes, 1886, huile sur toile.

Ainsi, si l’existence des catacombes n’était pas cachée, étaient-elles en revanche le lieu de réunions secrètes des Chrétiens? Il est certain que les catacombes étaient fréquentées par les chrétiens en dehors des moments d’inhumation, notamment en raison de la présence de Saints en ces lieux, près desquels les croyants voulaient venir se recueillir. Les premiers chrétiens considéraient ainsi les catacombes de Rome comme un sanctuaire dans son sens premier du terme, les fidèles estimant qu’ils seraient plus proche de Dieu dans ce lieu plutôt qu’un autre (d’où l’envie de s’y faire inhumer ad sanctos, littéralement « près du sacré »), avant que ce rôle ne soit reprit plus tard par un bâtiment dédié à cet aspect : l’église. C’est d’ailleurs pour cette raison que les niches abritant les corps y étaient fermées, au contraires des catacombes juives où l’on ne voyait pas l’intérêt de cacher les corps à l’intérieur des niches puisque personne ne s’y rendait en dehors des enterrements. Des messes et des célébrations y avaient donc effectivement lieu, mais, pourrait-on ajouter sans mauvais jeu de mot, presque « au grand jour », en raison du caractère public de l’existence des catacombes. Ainsi, c’est dans les catacombes de Saint-Calixte que le pape Etienne Ier fut arrêté en 257, démontrant qu’aucun chrétien n’y était à l’abri plus que dans un autre lieu. Les catacombes n’étaient donc pas, en dépit de la légende, un lieu où les chrétiens pouvaient exercer leur religion en secret afin d’échapper à leurs persécuteurs, mais tout simplement un lieu de rassemblement, ancêtre de nos églises.

Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898), Les martyrs aux catacombes, 1855, huile sur toile, musée d'Orsay.
Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898), Les martyrs aux catacombes, 1855, huile sur toile, musée d’Orsay.

Si à partir du IIème siècle, de plus en plus Romains païens imitèrent la pratique chrétienne et se firent eux aussi enterrer dans des catacombes, c’est finalement l’essor du christianisme comme première religion de Rome qui rendit ces cimetières souterrains obsolètes. Suite à la promulgation de l’édit de Milan en 313, par lequel l’empereur Constantin institua le droit à la liberté de culte, le christianisme se développe et devient la religion officielle de Rome sous l’empereur Gratien en 380. Les chrétiens représentant désormais l’immense majorité de la population, ceux-ci ne peuvent plus se suffire des catacombes, trop étroites et disposant de trop peu de places, pour y faire enterrer leurs morts, et  dès cette époque, ces sanctuaires souterrains cessent de remplir leur rôle originel pour ne conserver qu’une fonction de lieu de pèlerinage où la population vient honorer les martyrs de Rome reposant ici.

Catacombe de Saint-Calixte, crypte des papes. Crédits photo : Dnalor 01, licence CC BY-SA 3.0. Source : Wikicommons.
Catacombe de Saint-Calixte, crypte des papes. Crédits photo : Dnalor 01, licence CC BY-SA 3.0. Source : Wikicommons.

Peu à peu oubliées, les catacombes furent redécouvertes au XVIème siècle et aujourd’hui, moins d’une dizaine d’entre elles, dotées d’un intérêt historique et artistique majeur, sont ouvertes à la visite.

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