Quand la petite Finlande affronta la grande URSS : la guerre d’Hiver

Après un premier article consacré au tireur d’élite de légende Simo Häyhä, il me semblait évident d’enchainer par un article sur la très méconnue guerre d’Hiver, qui bien qu’ayant eu lieu en même temps que les premiers conflits de la Seconde Guerre Mondiale en 1939, a totalement été éclipsée par celle-ci. Retour donc aujourd’hui sur un conflit au pays des saunas, entre la grande URSS et la petite Finlande.

Quand on passe en revue les chiffres concernant la guerre d’Hiver, tout laisse à croire que l’URSS a subi là une sérieuse humiliation, car bien que le traité de paix signé à la fin de la guerre soit en sa faveur et marque sa victoire, l’Armée Rouge a perdu dans cette guerre aussi rapide que sanglante 126 000 hommes, contre 22 000 du côté finlandais.

Revenons sur la genèse du conflit. A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale – au milieu de l’année 1939 –  le IIIeme Reich et l’URSS signent un pacte de non-agression, appelé couramment pacte germano-soviétique et qui, par un protocole secret, partage l’Europe de l’Est entre les deux super-puissances. Cette alliance, qui précède de quelques mois l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, est avant tout un moyen pour Hitler de s’assurer  qu’il ne sera pas attaqué par l’URSS pendant son invasion imminente de la France, et pour Staline, c’est un moyen de gagner du temps avant un conflit jugé inévitable contre les Allemands. Prendre le contrôle des pays baltes et d’une partie de la Pologne est pour lui un bon moyen pour repousser la ligne de front loin des territoires russes, et gagner assez de temps pour contre-attaquer, l’Histoire donnant d’ailleurs raison à ce raisonnement stratégique avec la contre-offensive de Koursk et Stalingrad.

Afin de protéger la deuxième plus grande ville de Russie, Léningrad (actuelle Saint-Pétersbourg), les soviétiques cherchent donc à faire de la Finlande une zone tampon de plus, leur permettant de retarder l’approche de l’Allemagne par les pays scandinaves. Souhaitant d’abord éviter le conflit, l’Union soviétique propose aux Finlandais d’échanger des territoires : contre une partie de la côte balte et du seul accès à l’Océan Arctique de Finlande à Petsamo, les soviétiques offrent un territoire trois fois plus grand en Carélie. Les Finlandais, peu enclins à faire la guerre à un pays 66 fois plus vaste que le leur, pensent d’abord accepter, mais Staline se montre trop ambitieux en voulant également récupérer la concession du port d’Hanko, qui lui aurait permis de contrôler la totalité de la mer Balte, et la Finlande coupe court aux négociations.

Mainila: Ulkomaisia lehtimiehiä
La presse se rend à Mainila où un incident a eu lieu entre la Finlande et l’URSS en 1939.

On pourrait croire qu’en ces temps difficiles que furent les débuts de la Seconde Guerre Mondiale, peu de lois régissent la diplomatie, pourtant une déclaration de guerre ne se fait pas sans motif valable (ou casus belli), qui plus est lorsqu’on est membre de la Société des Nations comme l’est l’URSS. Pour contourner ce problème, les soviétiques mettent en scène une attaque sous fausse bannière (ou false flag) à Mainila: l’artillerie soviétique bombarde le village russe et tue 4 soldats de l’Armée Rouge, accusant les Finlandais d’être les auteurs de l’attaque. Deux jours plus tard, l’URSS déclare la guerre à la Finlande, et c’est une armée assurée de sa victoire mais mal préparée qui pénètre dans le pays. Si les soviétiques partent clairement gagnants sur le papier lorsque la guerre d’Hiver est déclenchée, mobilisant 800 000 hommes contre une armée qui n’en a même pas le tiers, l’inégale préparation entre les deux belligérants fait toute la différence. Les Finlandais sont chez eux, dans un terrain accidenté qu’ils connaissent bien, et sont habitués à combattre dans le froid et à se camoufler. Les soldats soviétiques, eux, sont majoritairement de jeunes recrues, la plupart des généraux ayant été placés à ce poste par le régime stalinien pour combler les trous dans la hiérarchie provoqués par les Grandes Purges de 1930, si bien qu’ils manquent cruellement d’expérience et lancent l’offensive sans même fournir de tenues de camouflage à leurs hommes.

Viipurin Tuomiokirkko pommituksen jälkeen.
Vue de la cathédrale de Vyborg après un bombardement soviétique. Le bâtiment n’a jamais été reconstruit avant sa destruction définitive en 1944 après l’annexion de la ville par l’URSS. Vyborg est aujourd’hui située en Russie.

L’armée Rouge pensait envahir toute la Finlande en 10 jours : un mois après le début du conflit, elle n’a même pas atteint la ligne de défense Mannerheim. Les soldats inexpérimentés fournissent des cibles faciles aux snipers finlandais, qui comblent leur manque de matériel en volant aux soviétiques l’équipement nécessaire, et les troupes redoublent d’ingéniosité pour compenser leur infériorité numérique. Au cours de cette guerre, on baptise même le célèbre cocktail Molotov: son nom est une pique à l’encontre du ministre des affaires étrangères soviétique Viatcheslav Molotov, qui affirmait à la radio que l’URSS ne bombardait pas la Finlande mais y envoyait des « paniers-repas Molotov » d’aide humanitaire, ce à quoi les Finlandais répondirent en renvoyant leurs propres « cocktails Molotov » sur les chars soviétiques.

Pour ajouter à la difficulté des combats, les troupes soviétiques envoyées au front en Finlande ne provenaient pas des territoires limitrophes du pays ennemi, l’Union Soviétique craignant qu’ils refusent de combattre leurs voisins, et par conséquent les soldats envoyés provenaient du sud de la Russie et n’avaient que peu d’expérience des combats sous la neige ou du froid arctique, comble de l’ironie quand on sait que le froid sera aussi ce qui va ralentir l’Allemagne Nazie lors de son attaque de l’URSS. Les Finlandais, de leur côté, combattent dans une tenue qu’ils ont l’habitude de porter tous les hivers et évoluent avec aisance dans la neige, la plupart des groupes de fantassins étant équipés de skis pour naviguer rapidement sur le front.

The_War_in_Finland,_1940_HU55566
Fantassins à ski finlandais allongés dans la neige près d’un bois au nord de la Finlande le 12 janvier 1940, surveillant l’avancée de troupes soviétiques.

Finalement, le 11 février 1940, les soviétiques parviennent à enfoncer la ligne Mannerheim au prix de lourdes pertes, et le lendemain une première version d’une armistice est proposée au gouvernement finlandais. Le traité de paix est signé un mois plus tard, le 12 mars 1940, alors que l’armée finlandaise se préparait encore à une retraite tactique pour maintenir le front quelques semaines de plus en attendant une intervention franco-britannique. L’URSS obtint finalement tout ce qu’elle demandait avant la guerre, mais la Finlande put conserver l’essentiel,  son indépendance. L’Union Soviétique indiquera après la guerre que seuls 350 soldats de l’Armée Rouge sont morts pendant la guerre d’Hiver, des chiffres bien eloignés de la vérité puisque entre 320 000 et 380 000 soldats soviétiques ont été tués ou blessés pendant le conflit, contre à peine 70 000 côté finlandais. La guerre d’Hiver aura au moins été l’occasion pour Joseph Staline de remettre en question ses choix en matière de commandement militaire, estimant avant le conflit qu’il valait mieux avoir des généraux fidèles au régime pour éviter un putsch, mais optant finalement pour une approche un peu plus tempérée en préparation de la guerre imminente avec l’Allemagne nazie, choix qui finalement lui sera favorable.

Vangittuja, uudelleen puettuja ryssiä.
Prisonnier de guerre soviétique capturé près de Rovaniemi dans le cercle Arctique en janvier 1940.

La Guerre d’Hiver, en plus d’être une victoire au goût amer pour les soviétiques, aura été l’occasion pour la Finlande de se faire une place sur la scène internationale en montrant sa volonté d’indépendance et sa combativité. Cet état d’esprit est à rapprocher d’un terme finnois encore très utilisé de nos jours, le sisu, dont le sens est proche en français de courage ou cran, et qui désigne la détermination dans l’adversité et la résistance obstinée contre toute forme d’oppression. Enfin, l’issue de la guerre d’Hiver aurait pu être tout autre si celle-ci s’était achevée quelques mois plus tard après une intervention franco-britannique : à ce moment là, la guerre n’est pas encore mondiale, et mis à part l’invasion de la Pologne il n’y a eu aucun autre conflit important, mais une intervention étrangère en Finlande aurait sans doute provoqué un tout autre déroulé du conflit mondial, entre l’URSS et la France alliée au Royaume-Uni. La situation aurait été d’autant plus compliquée que le IIIeme Reich était clairement opposé à l’idée de l’invasion de la Finlande par l’URSS… Bien que les forces étrangères ne soient pas officiellement intervenues en Finlande, de nombreux soldats de tous horizons se sont portés volontaires pour rejoindre le front, notamment des troupes britanniques, parmi lesquelles se trouvaient le célèbre acteur Christopher Lee.

15 mois après la fin de la guerre d’Hiver, les Finlandais combattent de nouveau les soviétiques, profitant de la guerre entre l’URSS et l’Allemagne nazie et étant ainsi alliés de facto mais non de jure à Hitler, pour récupérer leurs territoires perdus dans ce qui s’appelle la Guerre de Continuation et qui s’achèvera le 19 septembre 1944, cette fois-ci avec un nombre de pertes quasi identique des deux côtés.

Bibliographie

 

Partager l'article:
0

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *