Galilée a-t-il été un martyr de la science?

Galilée a-t-il vraiment été le martyr de la science face une église obscurantiste que l’on nous présente depuis des siècles? On fait aujourd’hui toute la lumière sur l’affaire Galilée et ce qui a réellement opposé le scientifique à l’église en ce début du XVIIème siècle.

Au Moyen-âge, la représentation du cosmos est dominée par une vision géocentrique selon laquelle l’ensemble des astres, y compris  le Soleil, se mouveraient autour d’une planète Terre immobile et située au centre de l’univers, une vision popularisée depuis les travaux menés par Aristote et Ptolémée dans l’Antiquité. Bien qu’issue de scientifiques grecs païens, cette vision géocentrique finit par être adoptée également par l’Église catholique. Pourtant, contrairement à ce que laisse penser le lieu commun d’une Église médiévale obscurantiste et hermétique aux avancées scientifiques, les études astronomiques ne sont pas interdites par le clergé au Moyen-âge, et les scientifiques sont libres d’émettre des hypothèses contraires à la théorie aristotélicienne des astres tant que celles-ci ne touchent pas à la théologie, c’est-à-dire ne les rapportent pas à une interprétation de la Bible.

 Johannes Vermeer (1632-1675), L'astronome, 1668, huile sur toile, musée du Louvre.
Johannes Vermeer (1632-1675), L’astronome, 1668, huile sur toile, musée du Louvre.

C’est dqns ce contexte qu’en 1543, la publication à titre posthume des études mathématiques d’un chanoine polonais, Nicolas Copernic, vient modifier la donne. Dans cet ouvrage dédié au pape, celui-ci y expose une nouvelle théorie héliocentrique, d’après laquelle la Terre et les autres astres tourneraient autour du Soleil, seule la lune tournant autour de la Terre en tant que satellite, tout en présentant cette théorie comme une simple hypothèse scientifique. Si les artisans de l’Église protestante, Luther et Calvin, condamnent fermement ces théories, tout comme d’ailleurs de nombreux scientifiques à une époque où celles-ci étaient encore largement en contradiction avec l’état de la connaissance astronomique, l’Église catholique n’accueille pas défavorablement les travaux de Copernic. Au contraire, elle leur montre un certain intérêt et en 1580, elle suggère même d’adopter une position dite « d’équivalence des hypothèses », qui concilierait les thèses géocentriques et héliocentriques.

Jan Matejko (1838–1893), L'astronome Copernic en conversation avec Dieu, 1872, huile sur toile, Jagiellonian University Museum.
Jan Matejko (1838–1893), L’astronome Copernic en conversation avec Dieu, 1872, huile sur toile, Jagiellonian University Museum.

Mais à partir de 1610, cette volonté conciliatrice de l’Église se heurte à l’opiniâtreté d’un scientifique italien, un certain Galilée. Utilisant les lunettes astronomiques inventées quelques années auparavant dans les Flandres pour observer les mouvements des astres dans le ciel, il identifie les différents satellites de Jupiter, observe  la révolution de Vénus et remarque la présence de cratères à la surface de la lune alors que l’on croyait jusqu’à présent que tous les autres astres célestes possédaient une surface lisse. Ces différentes observations mettent à mal la théorie géocentrique et vont dans le sens de la théorie copernicienne. Dès lors, Galilée n’hésite pas à présenter celle-ci comme une vérité irréfutable, bien qu’il ne puisse apporter aucune preuve directe du mouvement des astres autour du Soleil par le calcul et ne se fonde que sur ses observations expérimentales et des principes mécaniques qu’il a généralisés. Ses thèses astronomiques, qu’il présente en 1611 au grand collège pontifical de Rome,  séduisent une partie du clergé, parmi lequel le puissant cardinal Maffeo Barberini, qui devient son ami mais le met en garde contre le ton péremptoire qu’il emploie pour les présenter.

Félix Parra (1845 - 1919), Galilée démontrant les nouvelles théories astronomiques à l'université de Padoue, 1873, huile sur toile, Museo Nacional de Arte, Mexico.
Félix Parra (1845 – 1919), Galilée démontrant les nouvelles théories astronomiques à l’université de Padoue, 1873, huile sur toile, Museo Nacional de Arte, Mexico.

Mais Galilée ne tient pas compte de ces recommandations, et en 1615, il expose dans une lettre  sa propre réinterprétation de la Bible à l’aune de la théorie héliocentrique, n’hésitant pas à utiliser ses propres conclusions théologiques comme arguments soutenant le système copernicien. Craignant de ne voir se propager un discours théologique subversif sur la base d’arguments scientifiques encore improuvés, l’Église lui enjoint en 1616 de ne plus continuer à « soutenir, enseigner, défendre l’héliocentrisme sans preuves« . Il lui demeure permis d’étudier les astres tant que ses travaux se cantonnent aux mathématiques pures et n’empiètent pas sur la sphère théologique; par une lettre qu’il adresse en 1620 au scientifique, le pape Paul V l’autorise même à enseigner sa théorie à titre d’hypothèse.

Joseph-Nicolas Robert-Fleury (1797–1890) , Galilée devant le Saint-Office au Vatican, 1874, huile sur toile, musée du Louvre.
Joseph-Nicolas Robert-Fleury (1797–1890) , Galilée devant le Saint-Office au Vatican, 1874, huile sur toile, musée du Louvre.

Mais convaincu de mener un combat pour la vérité, Galilée est loin d’avoir renoncé à affirmer l’héliocentrisme. C’est ce qu’il prouve quand son ami Barberini, devenu pape sous le nom d’Urbain VIII, fait appel à ses connaissances et lui demande en 1624 de rédiger un exposé présentant avec neutralité la théorie héliocentrique et la théorie géocentrique. Galilée décide alors de faire exactement l’inverse de ce qu’il lui avait demandé et publie en 1630 son fameux Dialogue, dans lequel il affirme la véracité du système copernicien en s’appuyant notamment sur l’Ancien Testament. Déçu par la mauvaise foi de son ami et soumis à des pressions de la part de son entourage, Urbain VIII confie à une commission de théologiens la tache d’examiner le contenu de ce Dialogue, et la commission finit par rendre son verdict et par convoquer Galilée en procès devant le Saint-Office.

Cristiano Banti (1824–1904), Galilée face à l'Inquisition romaine, 1857, huile sur toile, collection privée.
Cristiano Banti (1824–1904), Galilée face à l’Inquisition romaine, 1857, huile sur toile, collection privée.

Néanmoins, contrairement à une idée couramment répandue, ce procès est loin d’être une quelconque humiliation pour le scientifique. Au cours de celui-ci, Galilée n’est soumis à aucun mauvais traitement et n’est même pas incarcéré, et après avoir renié son œuvre à trois reprises, il abjure solennellement celle-ci dans une cérémonie organisée le 22 juin 1633 dont la procédure avait été adoucie à la demande du pape. A l’interdiction de diffusion du Dialogue, le verdict ajoute trois années de détention et une condamnation à réciter des psaumes de pénitence une fois par semaine. S’il est donc peu probable que Galilée ait prononcé la célèbre phrase « Et pourtant elle tourne! » à l’issue de son procès, aucune de ses condamnations ne lui sera non plus réellement appliquée. Suite au procès, il sera hébergé dans la luxueuse demeure de l’ambassadeur de Toscane, puis chez son ami l’archevêque de Sienne, avant d’être autorisé au bout de quelques mois par Urbain VIII à s’installer dans sa villa d’Arcetri, près de Florence. Quant aux psaumes de pénitence, Galilée s’arrangea même pour les faire réciter par ses filles bâtardes, toutes les deux nonnes. Finalement, Galilée passera ses dernières années à Arcetri, où il se consacrera à poursuivre ses travaux mathématiques en compagnie de ses amis et de Vincenzo Viviani, son assistant de 1639 jusqu’à sa mort en 1642.

Tito Lessi (1858-1917), Galileo et Viviani, 1892, huile sur toile, musée Galilée.
Tito Lessi (1858-1917), Galileo et Viviani, 1892, huile sur toile, musée Galilée.

 Il faudra attendre encore deux siècles pour que la science puisse enfin prouver la validité de la thèse héliocentrique, avec la publication des travaux de James Bradley en 1727. Quant à l’église catholique, celle-ci reconnut officiellement en 1992 par l’entremise du pape Jean-Paul II qu’elle avait eut tort d’intenter un procès à celui auquel cette affaire permit finalement de devenir l’un des plus célèbres scientifiques de l’Histoire. Si sa brouille avec l’Église est donc surtout le fruit de son obstination à défendre sans preuves mathématiques une théorie scientifique modifiant à ses yeux l’interprétation de la Bible, force est en effet de constater que Galilée avait deviné juste sur notre système solaire.

Sources:

Aimé Richardt, La vérité sur l’affaire Galilée, François-Xavier de Guibert, 2007

Galilée, de Claude Allègre, éditions Plon, 2002

Le Mythe Galilée, Fabien Chareix, PUF, 2002

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2 pensées sur “Galilée a-t-il été un martyr de la science?

  • 10 janvier 2020 à 15 h 50 min
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    Arthur Koesler dans « Somnambules » paru en 1959 avait déjà bien détruit le mythe du martyr, et rétabli, d’une part, ses erreurs d’interprétation de la théorie de Copernic dont il semble ne connaître que l’introduction et , d’autre part, la suprématie de Kepler qui loin de se cantonner à ses hypothèses, les corrigeait, lui, quand la réalité lui prouvait qu’elles étaient fausses. Mais Galilée continue à être considéré comme martyr et inventeur de l’héliocentrique !

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