Ces migrants venus d’Europe au XIXème siècle

Avec le développement de transports de grandes distances toujours plus rapides et sûrs et la découverte des richesses naturelles des pays du Nouveau-monde, le XIXème siècle devient le siècle des migrations internationales, et des millions d’Européens n’hésitent pas à prendre le large vers des destinations inconnues dans lesquelles ils entrevoient la promesse d’un avenir économique meilleur. Nous vous faisons revivre aujourd’hui en peinture les parcours pleins d’espoir de ces Européens qui quittèrent il y a plus d’un siècle leur chère patrie pour des contrées lointaines…

La terre promise américaine

La théorie la plus répandue concernant les facteurs de migration est celle popularisée par Harry Jerome en 1926, appelée theory of push and pull factors. Celle-ci estime que le potentiel d’attractivité du pays hôte compte davantage pour motiver la migration que la répulsion exercée par les conditions de vie du pays que l’on quitte. L’exemple le plus emblématique de cette théorie est celui des États-Unis, qui ont incarné des années 1840 aux années 1920 l’idéal économique et démocratique de nombreux Européens, voyant dans ce tout jeune pays en plein essor, favorisé par le développement de l’industrie et les ressources naturelles dont il dispose, la promesse d’un avenir radieux. L’attractivité des Etats-Unis fut renforcée par le Homestead Act signé par le Président Abraham Lincoln en 1862 qui stipule que toute famille pouvant justifier qu’elle occupe un terrain de moins de 65 hectares depuis au moins 5 ans a le droit d’en revendiquer la propriété  et permet en outre aux foyers occupant un terrain depuis au moins 6 mois d’acheter celui-ci à un prix bon marché. Ainsi, d’abord essentiellement constituée de Britanniques, d’Irlandais, et d’Allemands dans les années 1840, la vague migratoire vers les Etats-Unis toucha à partir des années 1850 les pays d’Europe du Nord, puis enfin, à partir des années 1870, les pays d’Europe centrale et du Sud.

Gustav Wentzel (1859-1927), Les émigrés, 1903, huile sur toile.
Gustav Wentzel (1859-1927), Les émigrés, 1903, huile sur toile.

La plupart des immigrés européens faisaient leur arrivée sur le continent américain dans la ville portuaire de New-York, le second étant la Nouvelle-Orléans en Louisiane, terre d’accueil de nombreux colons français. Une fois à New-York, les immigrés qui en avaient les moyens prenaient la ligne de chemin de fer jusqu’à Buffalo et continuaient ensuite jusqu’à Boston ou San Francisco, les plus pauvres étant condamnés à s’installer sur place. Le nombre d’immigrés européens sur le sol américain devint rapidement si élevé qu’en 1860 ces-derniers constituaient la majorité de la population de New-York, Boston, San Francisco et la Nouvelle-Orlénas. Face à l’afflux de migrants à New-York, une infrastructure dédiée à l’accueil des immigrés fut mise en place dans l’ancien fort militaire de Castle Garden, où le gouvernement installa le premier centre d’immigration du pays en 1855. Plus de 8 millions d’immigrés transitèrent par la station de Castle Garden, représentée ici par le peintre Charles Frederic Ulrich, entre 1855 et 1890, date à laquelle le centre fut fermé par le gouvernement en raison des épidémies de choléra et de variole qui y sévissaient. Mais Castle Garden fut remplacée par une autre station d’immigration devenue aujourd’hui bien plus emblématique dans les mémoires collectives, la petite île d’Ellis Island où les services d’immigration furent actifs de 1892 à 1954. Néanmoins, le nombre d’immigrés européens sur le sol américain diminua considérablement dès 1917, où un test d’alphabétisation fut imposé à l’entrée sur le sol américain, et surtout à partir de 1924 où des quotas d’immigration extrêmement restrictifs furent mis en place par le gouvernement Johnson.

Charles Frederic Ulrich (1858–1908), In the land of promises, 1884, huile sur panneau, National Gallery of Art.
Charles Frederic Ulrich (1858–1908), In the land of promises, 1884, huile sur panneau, National Gallery of Art.
L’Australie, un nouvel eldorado

Si la majorité des migrations du XIXème siècle se sont donc effectués vers le continent nord-américain, d’importants mouvements migratoires ont également eu lieu vers l’Australie à partir de la seconde moitié de ce même siècle.

Comme pour l’Amérique du Nord, où les pays européens avaient d’abord vu un bon moyen de se débarrasser des criminels, les premiers colons implantés en Australie furent des colonies pénitentiaires, et comme pour les Etats-Unis, ce sont les populations britanniques et irlandaises qui furent les premières à s’installer sur place. En effet,  la perte de la souveraineté britannique sur les États-Unis, proclamé pays indépendant en 1776, obligea les Anglais à trouver une nouvelle solution pour déporter leurs détenus, et, sur proposition du diplomate James Matra, le gouvernement britannique décida de se tourner vers ce territoire hostile situé à l’autre bout du globe. La première délégation de prisonniers quitta l’Angleterre en 1787 et mit 9 mois à faire la traversée, atteignant les côtes australiennes le 26 janvier 1788, une date aujourd’hui commémorée comme la fête nationale du pays.

Ford Madox Brown (1821–1893), The Last of England (Adieu à l'Angleterre), 1852-1855, huile sur panneau, Birmingham Museum and Art Gallery.
Ford Madox Brown (1821–1893), The Last of England (Adieu à l’Angleterre), 1852-1855, huile sur panneau, Birmingham Museum and Art Gallery.

L’Australie n’aurait pu rester qu’une simple terre d’accueil de détenus si elle n’avait pas révélé bientôt contenir des trésors similaires à ceux qui avaient attiré tant de monde aux États-Unis. Ainsi, la découverte de filons d’or en Australie en 1851 attira bientôt vers le continent austral de nombreux Européens espérant y trouver un nouvel eldorado, si bien que la population de l’île doubla en seulement 10 ans, un phénomène similaire à la ruée vers l’or survenue en Californie  au même moment.  Le pays étant une colonie britannique, il est donc tout naturel que les premiers à se rendre volontairement sur place furent essentiellement des Britanniques et des Irlandais, meurtris par le contexte de la grande famine qui frappa durement le pays entre 1845 et 1851. Le peintre proche du mouvement préraphaélite Ford Madox Brown a représenté ici certains de ces Britanniques fuyant leur pays vers la promesse d’un avenir meilleur en Australie; il s’agit ici, au premier plan, de son ami le sculpteur Thomas Woolner parti en 1852, année où 350 000 Britanniques prirent le cap pour l’Australie. Entassés dans un bateau de pêche sur une mer agitée, les personnages quittent à regret cette terre qui est la leur, tandis que le spectateur peut voir  s’éloigner au loin les falaises blanches de Douvres. Issus de la classe moyenne, les personnages du tableau nous rappellent ainsi que les populations ouvrières étaient loin d’être les seules à faire le grand saut pour fuir les conditions de vie difficiles en Europe.

Tom Roberts (1856–1931), Coming South, 1886, huile sur toile, National Gallery of Victoria.
Tom Roberts (1856–1931), Coming South, 1886, huile sur toile, National Gallery of Victoria.

Près de 35 ans plus tard, le motif des migrations vers l’Australie est traité de nouveau du point de vue d’un peintre australien, Tom Roberts, qui immigra sur l’île en 1869. A nouveau, toutes les catégories sociales, des plus modestes aux moins aisées, se mélangent sur le pont de ce navire à voiles et à vapeur inspiré de celui que prit l’artiste pour revenir chez lui en 1885 après avoir passé quatre années en Europe.

Les migrations italiennes

Bien que la migration italienne ait débuté plus tardivement dans les années 1870, ces-derniers représentent à la fin du XIXème siècle  la 3ème population migratoire en terme de volume derrière le Royaume-Uni et l’Irlande. Les raisons sont avant tout liées au décalage entre le boom démographique du pays, passé de 22 à 28,9 millions d’habitants entre 1861 et 1881, et le nombre d’emplois disponibles qui a augmenté moins vite que la population. Les régions les plus touchées par l’émigration sont surtout les régions rurales où le travail paysan devient de moins en moins rémunérateur en raison de l’industrialisation de l’agriculture et de la redistribution des terres concomitante à l’unification du pays en 1861, qui a dépossédé de nombreux petits paysans de leurs revenus. Débutant à partir du milieu des années 1870, la grande migration italienne ne va cesser de croître durant les décennies qui suivirent, intensifiée par le contexte de grave crise économique que traverse le pays  à la fin des années 1880. En 1910, c’est 2,5% de la population italienne qui candidate à l’exil. Au milieu des années 1880, plus de la moitié des émigrants italiens choisissent de traverser l’Atlantique pour rejoindre les États-Unis, le Brésil ou l’Argentine; les autres destinations privilégiées sont les pays industriels d’Europe du Nord, Allemagne ou encore Belgique et bien sûr la France dont la proximité géographique avec l’Italie permet de fournir une main d’œuvre bon marché aux industries minières alors en plein essor. Ce sont ces émigrants italiens prêts à prendre le large dans l’espoir d’une vie meilleure qui ont été croqués  ici par le peintre naturaliste Angiolo Tommasi.

Angiolo Tommasi (1858–1923), Gli emigranti, 1896, huile sur toile, galerie nationale d'Art moderne et contemporain (Rome).
Angiolo Tommasi (1858–1923), Gli emigranti, 1896, huile sur toile, galerie nationale d’Art moderne et contemporain (Rome).
Le développement des lignes transatlantiques

Tout comme les transactions commerciales et financières de plus en plus importantes entre les deux continents, la multiplication des flux migratoires de l’Europe vers l’Amérique contribua également au progrès du transport  maritime transatlantique au cours du XIXème et au début du XXème siècle. Durant la première moitié du XIXème siècle, le trafic transatlantique est assuré par les clippers, grands bateaux à voiles possédant trois mâts, mais le développement de l’industrie à vapeur vient les concurrencer  dès 1837 avec le lancement du plus grand navire à vapeur du monde, le Great Western,  qui permit de relier Bristol à New-York en seulement 29 jours, soit deux fois moins de temps qu’un voilier moyen. Un an plus tard est fondée la première ligne transatlantique pour passagers exploitant des bateaux à vapeur, la Cunard Line, assurant depuis 1840 des lignes régulières entre l’Angleterre et l’Amérique du Nord destinées au transport de voyageurs mais aussi aux liaisons postales. Les compagnies rivales ne tardent pas à se multiplier : en Angleterre, la principale rivale de la Cunard, la White Star Line, qui deviendra la compagnie du Titanic, est crée en 1845, tandis que la Compagnie générale transatlantique est fondée en France en 1855 et que la Hamburg America Line est lancée en Allemagne en 1847. Mais les grandes lignes ne suffisent rapidement plus à transporter tous les voyageurs européens vers le Nouveau continent. Devenus particulièrement nombreux à migrer vers l’Amérique du Nord à partir des années 1850, les Scandinaves furent dans un premier temps obligés d’emprunter les lignes allemandes ou britanniques, mais ils décidèrent eux aussi, à l’initiative de l’industriel danois Carl Frederik Tietgen, de lancer en 1879 leur propre ligne transatlantique, la Thingvalla line reliant le complexe portuaire de Larsens Plads à Copenhague à New-York après une halte en Norvège.

Edvard Petersen (1841–1911), Emigrés à Larsens Plads, 1890, huile sur toile, ARoS Aarhus Kunstmuseum.
Edvard Petersen (1841–1911), Emigrés à Larsens Plads, 1890, huile sur toile, ARoS Aarhus Kunstmuseum.

Néanmoins, si l’invention du bateau à vapeur avait permis de réduire de moitié les temps de trajets, ce n’est qu’avec l’invention de la coque en fer, en 1845, bientôt remplacée par la coque en acier, que débute l’ère des paquebots, ces immenses navires capables de transporter en seulement une semaine un nombre considérable de voyageurs et de candidats au Nouveau-Monde,  allant des individus les plus aisés, logés sur le pont supérieur et disposant de cabines individuelles, aux populations ouvrières entreposées dans les ponts inférieurs. Améliorés par une technologie de plus en plus performante, les paquebots seront l’objet d’une concurrence acharnée entre les différentes compagnies transatlantiques et connaîtront un véritable âge d’or au moment de la Belle-Epoque, jusqu’aux naufrages emblématiques du Titanic en 1912 et du Lusitania en 1915.  Connaissant un second essor dans l’entre-deux-guerres, le paquebot comme mode de transport de voyageurs sera remplacé à partir des années 1950 par l’avion et ne sert de nos jours qu’à effectuer des croisières de plaisance pour une clientèle aisée.

Edvard Petersen (1841–1911), Retour à la maison (Américains à Larsen Plads), 1898, huile sur toile, ARoS Aarhus Kunstmuseum.
Edvard Petersen (1841–1911), Retour à la maison (Américains à Larsen Plads), 1898, huile sur toile, ARoS Aarhus Kunstmuseum.

 

Sources:

Frédéric Martel, De la culture en Amérique, Paris, Gallimard, 2006

Leonard Dinnerstein, Ethnic Americans, a history of immigration, NY 4e éd., 1999

Edmondo De Amicis. Sur l’océan, 2004. Récit de la traversée des émigrants sur un paquebot transatlantique en 1884, de Gênes à Montevideo

Serge Weber, Nouvelle Europe, Nouvelles Migrations, ed. Le Félin, 2007

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