Qu’est-il arrivé aux 7 merveilles? – Le Phare d’Alexandrie

Des jardins suspendus de Babylone au colosse de Rhodes, en passant par le mausolée d’Halicarnasse ou la pyramide de Khéops… les 7 Merveilles du Monde antique sont sans doute les constructions les plus connues de l’Histoire, acclamées depuis 2000 ans comme des monuments aux proportions ayant dépassé l’entendement. Pourtant aujourd’hui, de ces chefs-d’œuvre de l’Antiquité, un seul est resté debout. Retour aujourd’hui sur l’imposant phare d’Alexandrie, de sa reconstruction à sa disparition dans les méandres de l’Histoire…

De sa construction décidée par Ptolémée au IIIeme siècle avant J.C. et pendant plus d’un millénaire, le phare d’Alexandrie est demeuré la plus haute tour du monde, dépassée seulement au XIIème siècle par les premières grandes flèches gothiques européennes. A la fois prouesse technique et chef d’œuvre artistique, cette tour construite sur la petite île de Pharos, près d’Alexandrie, a eu une influence telle dans l’Histoire que depuis tous les autres phares du monde portent son nom, à l’instar de la tombe de Mausole à Halicarnasse qui donna son nom aux mausolées. Pourtant cette structure, aussi impressionnante soit-elle, n’a pas toujours fait partie des sept merveilles du monde antique, et est même absente de la liste des merveilles établie par Philon de Byzance et Antipater de Sidon, les deux plus anciennes sources sur le sujet.

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Cette gravure tirée de l’ouvrage Entwurf einer historischen Architektur propose une représentation du phare telle qu’imaginée par les auteurs du XVIIIème siècle, fantaisiste  tant d’un point de vue architectural qu’archéologique.

La raison de l’absence du phare d’Alexandrie dans ces listes est pourtant simple: le Phare d’Alexandrie est la merveille dont la construction est la plus tardive, ce qui explique qu’elle ne figure pas sur les listes écrites avant le IIIème siècle avant J.C. et notamment celle de Philon de Byzance, malgré son caractère remarquable. Dans la plupart des listes antiques des sept merveilles ce sont les remparts de Babylone qui prennent sa place, et ce n’est qu’à la Renaissance, avec la redécouverte de la culture antique, que la liste est remaniée pour valoriser cette structure antique d’un haut lieu de la civilisation. Mais cette absence de la liste canonique des sept merveilles du monde n’a pour autant jamais empêché la tour de Pharos de fasciner tous ceux qui la connaissaient, étant de nombreuses fois citée et décrite par tous les voyageurs ayant un jour séjourné à Alexandrie.

C’est Ptolémée Ier qui décida donc la construction de cette incroyable tour au IIIème siècle avant J.C., dans un port à l’époque très fréquenté et où le rivage manque de repères visuels (appelés amers), ayant pour conséquence de nombreux naufrages. La tour de Pharos n’est pas pour autant le premier phare de l’Histoire, contrairement à ce qu’on pourrait croire, puisque ce type de construction existait déjà  sur les îles grecques comme à Thalos depuis au moins le VIème siècle avant J.C.; néanmoins, elle devient après son édification un modèle sur lequel se baseront tous les autres phares de l’Antiquité. Bien que sa taille exacte ne soit pas connue, les sources les plus récentes sur la tour l’estiment entre 103 et 118 mètres de haut et contiennent en revanche des informations précieuses sur sa structure composée de trois niveaux, successivement plus réduits, avec une première section carrée, la seconde octogonale et la dernière circulaire. Au sommet se trouvait un grand miroir qui reflétait la lumière du soleil pour guider les marins le jour, remplacé la nuit par un immense feu visibles sur des kilomètres.

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Ce dessin de l’archéologue allemand H. Thiersch montre une représentation réaliste de l’apparence du phare, basée sur les recherches effectuées à l’époque, et permet de se faire une idée de la structure étagée de la tour de Pharos.

Davantage qu’un simple phare, la tour d’Alexandrie devait remplir au moment de sa construction le rôle de ce qu’on pourrait assimiler aujourd’hui à un acte de propagande : en effet, à la mort d’Alexandre le Grand fondateur de la cité, Ptolémée devient roi d’Egypte, et il met aussitôt en œuvre une politique visant à faire de cette ville d’Egypte une capitale au rayonnement culturel considérable, espèrant ainsi asseoir sa légitimité en tant que digne successeur de l’empereur macédonien. La tour de Pharos, par sa démesure et sa beauté, cristallise ainsi les aspirations du souverain à être considéré comme le plus apte à reprendre le flambeau d’Alexandre, en pleine guerre des diadoques. Il y a aussi chez Ptolémée une volonté de faire d’Alexandrie un port important de la Méditerranée orientale en le rendant aussi moderne que possible, pour faire de son royaume une thalassocratie à même de lutter contre l’influence des autres généraux d’Alexandre, tel qu’Antigone le Borgne, ce qui n’est pas sans rappeler les évènements ayant mené à la création du Colosse de Rhodes.

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La tour de Pharos est resté longtemps l’un des symboles de la ville d’Alexandrie, au même titre que la grande bibliothèque qui s’y trouvait, et on utilise son image pour représenter la ville égyptienne, comme sur cette mosaïque du XIIIème siècle représentant Saint Marc arrivant dans la ville.

Bien que débutée du vivant de Ptolémée, la construction du phare d’Alexandrie ne s’achèva qu’après sa mort, au bout de 12 ans de travaux, une rapidité de construction qui témoigne une fois encore du talent des ingénieurs de l’Antiquité qui, avec des moyens qui nous sembleraient aujourd’hui rudimentaires, parvenaient à accomplir ce genre de prouesse technique. La paternité de la merveille fait d’ailleurs débat aujourd’hui, puisque le nom de l’architecte ayant réalisé les plans de la tour de Pharos n’est toujours pas connu: on a longtemps attribué cette construction à Sostrate de Cnide en raison d’une inscription qui se trouvait gravée sur le phare, mais cette inscription est peu fiable: il était rare qu’un architecte puisse signer de son nom un monument à cette époque. Une légende voudrait d’ailleurs qu’à l’origine, Sostrate ait inscrit le nom de Ptolémée à cet emplacement, mais avec un matériau friable qui au fil des années se serait érodé pour laisser apparaître la véritable inscription, et signer ainsi son œuvre sans vexer le souverain d’Egypte…

Quoiqu’il en soit le mystère reste entier, et même si Sostrate de Cnide n’était pas l’architecte du phare d’Alexandrie, il est probable qu’il ait au moins participé à son financement étant donné sa richesse et son influence. Mais un autre élément de la tour de Pharos fait débat : il s’agit de la statue qui ornait son sommet, tour à tour décrite comme étant celle de Zeus le roi des dieux, puis de Poséidon le dieu de la mer, et même d’Hélios, le même dieu représenté par le colosse de Rhodes. Il est toutefois possible que ces trois statues se soient en réalité succédées sur le phare, mais il reste difficile d’estimer dans quel ordre ou à quelle période chacune se serait retrouvée au sommet. Des représentations évoquant les divinités égyptiennes ont aussi été retrouvées sur le site archéologique du phare, notamment une statue de Ptolémée II et sa femme Arsinoé II, représentés sous les traits de Pharaon et d’Isis. Même si leur place sur le monument n’est pas claire, ces statues témoignent de la riche décoration que devait posséder le phare d’Alexandrie en plus de ses qualités techniques certaines.

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Cette statue de Ptolémée II a été récupérée des eaux, et on suppose qu’elle ornait l’entrée du phare d’Alexandrie. Crédits photo: Gérard Ducher pour Wikimédia Commons, CC BY-SA 2.5.

Si, comme pour les autres merveilles du monde, les caractéristiques techniques du phare sont incertaines, son histoire nous est elle bien connue, Alexandrie étant restée une ville d’importance majeure au cours de l’Histoire, et le devenir du phare ayant donc été consigné par les nombreux voyageurs, historiens et intellectuels qui y vivaient. Si on exclut la pyramide de Khéops, la tour de Pharos est en plus la merveille étant resté debout le plus longtemps depuis sa construction. Elle est encore présente dans le port d’Alexandrie lorsque les Romains font de l’Egypte une de leur province sous Auguste, puis lorsque les musulmans envahissent à leur tour le royaume des pharaons en 641, cette longévité s’expliquant sans doute par l’utilité du phare, les souverains d’Egypte ayant tout intérêt à l’entretenir et le conserver. Malgré la qualité de sa construction, le Phare d’Alexandrie est tout de même endommagé à plusieurs reprises, non pas par des guerres ou le pillage de ses matériaux de construction, mais par des tremblements de terre, dont le plus violent d’entre eux, au Xème siècle, fait s’effondrer le troisième étage de la tour. Celui-ci ne fut jamais reconstruit, et à sa place le sultan Ahmed Ibn Touloun y aménagea un oratoire pour transformer la tour de Pharos en minaret – le plus haut du monde – ce qui aura d’ailleurs une influence sur l’architecture des minarets égyptiens de cette époque.

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Le minaret de la mosquée construite par le sultan Ahmed Ibn Touloun au Caire (le même qui avait transformé la tour de Pharos en minaret) suit la même architecture étagée que la merveille, montrant l’influence qu’a eu le phare d’Alexandrie sur l’architecture religieuse d’Egypte.

Deux derniers tremblements de terre auront finalement raison du phare en 1303 et 1323, bien qu’il soit difficile d’estimer les dégâts et ce qu’il reste effectivement de la tour de Pharos en ce début de XIVème siècle. C’est aussi à cette même époque que se popularise en Europe la liste des Sept Merveilles du Monde telle qu’on la connait aujourd’hui, avec le phare d’Alexandrie prenant la place des remparts de Babylone. Les ruines du phare restèrent en l’état jusqu’en 1480, date à laquelle le sultan Quaitbay fait ériger une forteresse à sa place en réutilisant les pierres de construction de la tour, mettant fin à l’existence de l’avant-dernière merveille du monde à rester encore debout. Mis à part ces éléments de construction réutilisés, d’autres vestiges du phare issus de ses effondrements successifs reposent au fond de l’eau et sont le sujet de recherches archéologiques sous-marines pour étudier la tour de Pharos, si bien que l’UNESCO envisage aujourd’hui de classer le site au patrimoine mondial de l’humanité pour mettre en valeur et protéger ce patrimoine disparu.

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