Comment le vélo contribua-t-il à l’émancipation des femmes?

Symbole majeur de la fin du XIXème siècle et de la Belle-époque, le vélocipède, couramment appelé vélo, fut non seulement une révolution technique qui améliora la vie quotidienne en proposant un moyen de transport rapide et facile, mais offrit aussi un formidable outil d’égalité dans la société…

En 1817, dans le duché de Bade en Allemagne, le Baron Drais  met au point une machine révolutionnaire: la draisienne,  commercialisée en France dès l’année suivante sous le nom de vélocipède, qui relie deux roues alignées avec un cadre en bois et que l’on fait avancer en poussant au sol avec les pieds.

Néanmoins, ce n’est qu’en 1861 qu’on en arrive au premier vélo à proprement parler, lorsque l’artisan serrurier Pierre Michaux invente avec son fils le premier vélocipède à pédales, et ce nouveau moyen de locomotion suscite  aussitôt un intérêt durable auprès du grand public, qui ne se démentira plus jamais. Faisant l’objet d’améliorations successives, le désormais vélocipède-michaudine – car oui il fallait bien qu’il donne son nom à son invention – devient si populaire qu’à la cour, le fils de Napoléon III est surnommé « Vélocipède IV » en raison de sa passion pour cet engin. L’invention donne lieu à diverses adaptations pour le moins incongrues, tel le fameux Grand-bi inventé en 1871  et qui, bien qu’assez dangereux, sera très apprécié des plus téméraires jusqu’à la fin des années 1880.

Peinture de Ramon Casas, El descanso de los ciclistas (Le repos des cyclistes), 1886, huile sur toile.
Ramon Casas (1866-1932), El descanso de los ciclistas (Le repos des cyclistes), 1886, huile sur toile.

C’est finalement en 1884 qu’est inventée la bicyclette de sécurité, notre vrai vélo moderne, également surnommée « petite reine », et en 1891 que sa version sportive, le vélo de course, verra le jour sous un prototype conçu par Michelin. Tout comme les nouveaux moyens de locomotion en plein essor à cette époque,- le train et la voiture -, le vélo se démocratise rapidement, d’autant plus qu’en raison de son faible coût, il est accessible à toutes les catégories de la population et convient aussi bien à la ville qu’à la campagne. Révolution technique, le vélo est aussi une révolution sociale, puisque pour la première fois dans l’Histoire l’ensemble de la population utilise le même mode de déplacement sans distinctions fondée sur des critères sociaux ou géographiques et partage le même loisir à une époque où les bienfaits du sport sur la santé commencent à être mis en avant dans l’opinion.

Jean Béraud (1848-1935), Le Chalet du cycle au bois de Boulogne, v.1900, huile sur toile, Musée Carnavalet.
Jean Béraud (1848-1935), Le Chalet du cycle au bois de Boulogne, v.1900, huile sur toile, Musée Carnavalet.

Mais cette petite révolution va beaucoup plus loin: l’égalité qu’elle entraîne concerne également les genres. En effet,  la bicyclette est très rapidement adoptée par de nombreuses femmes, qui peuvent pour la première fois se déplacer par leurs propres moyens de façon rapide et autonome et parcourir de plus longues distances sans dépendre de leur mari. C’est pourquoi le vélo est perçu comme un symbole majeur de l’émancipation des femmes à cette époque, qui leur permet de réinvestir l’espace public alors encore traditionnellement réservé aux hommes. Encore plus que la nouvelle indépendance que la bicyclette permet à la gente féminine, c’est la libération jusqu’alors impensable de la garde-robe de ces dames dont elle s’accompagne qui suscite le plus de réactions, avec l’apparition des célèbres culottes bouffantes inspirées des culottes portées par les hommes plus d’un siècle plus tôt et qui laissent voir les mollets, mais aussi l’adoption des canotiers masculins qu’arborent les élégantes sur ce tableau de Jean Béraud.  Non seulement les femmes peuvent pour la première fois  porter en public une tenue dictée par une quête personnelle de praticité et non pas par les impératifs de leur condition,  mais aussi, pour la première fois depuis des siècles, hommes et femmes sont vêtus de manière très similaire, comme le montre ce tableau où il paraît presque difficile de les dissocier parmi les personnages situés à l’arrière-plan. Tout d’abord jugées scandaleuses (il ne faut pas oublier qu’il était alors considéré comme érotique pour une femme de montrer ses chevilles !), ces tenues féminines de cyclisme finiront par se démocratiser au cours du XXème siècle.

Enfin, à travers la création de lieux dédiés où se retrouvent les amateurs de la petite reine, le vélo favorise aussi l’égalité à travers le brassage des individus : A Paris à la Belle-Epoque, le chalet du cycle, situé près du pont de Suresne au bois de Boulogne constitue le rendez-vous à la mode des nouveaux sportifs cyclistes urbains, parmi lesquels on compte une part féminine de plus en plus importante. Derrière l’apparence pseudo-rustique du petit chalet que l’on retrouve à de nombreux emplacements du bois mis en travaux sous Napoléon III et la mise en valeur de la nature à travers des tonalités de bleu et de vert, Jean Béraud nous  le montre ici comme un décor d’opérette  badin et joyeux enrichi de nombreux détails anecdotiques.

Léon Comerre (1850-1916), Bicyclette au Vésinet, 1903, huile sur toile, Petit Palais.
Léon Comerre (1850-1916), Bicyclette au Vésinet, 1903, huile sur toile, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.

Mais aucun scandale ne pourra entamer le succès de la bicyclette, qui dès 1910, a déjà conquis toute la population : en France, suite à la loi du 13 avril 1898 instituant la plaque d’identité sur les vélos, on compte cette année-là 2,7 millions de bicyclettes immatriculées. Ce moyen de locomotion est alors tellement populaire qu’en 1900 le préfet de police de la Seine Louis Lépine créé des agents cyclistes surnommés les hirondelles afin de poursuivre les voleurs qui voient dans ce nouvel engin l’occasion de pouvoir s’enfuir plus rapidement.

Finalement, le succès de la « petite reine » ne se démentira jamais. Après l’invention du BMX en 1969 et celle du VTT en 1873, le vélo figure aujourd’hui parmi les moyens de transport les plus plébiscités des Français, et 45% d’entre eux déclarent l’avoir utilisé au moins une fois au cours de la dernière année.

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