Quand on révolutionna la chirurgie

Vicente Castell (1871–1934), Laparotomie, 1898, huile sur toile,Museu de Belles Arts de Castelló.
Vicente Castell (1871–1934), Laparotomie, 1898, huile sur toile,Museu de Belles Arts de Castelló..

Le 25 décembre 1809 le chirurgien américain Ephraim McDowell réalise avec succès la première laparotomie de l’Histoire sur une femme atteinte d’un kyste à l’ovaire, opération qui pourtant à l’époque est en principe mortelle, et qui consiste en  une incision de l’abdomen pour laisser le passage à d’autres actes chirurgicaux sur les organes abdominaux et pelviens. Représentée ici par le peintre Vicente Castell, cette pratique révolutionnaire pour l’époque devint bientôt une pratique médicale répandue dans le monde entier, permettant encore aujourd’hui de sauver de nombreuses vies.

Thomas Eakins (1844-1916), La clinique du docteur Gross,1875, huile sur toile,Philadelphia Museum of Art.
Thomas Eakins (1844-1916), La clinique du docteur Gross,1875, huile sur toile, Philadelphia Museum of Art.

Dès le début du XIXème siècle, la chirurgie bénéficie d’une multiplication et d’une diversification des types d’opérations pratiquées: ce développement est grandement facilité par la découverte de l’anesthésie, qui permet aux patients de se faire opérer sans endurer de souffrances. Tout commença en 1799, lorsque l’Américain Humphry Davy découvrit d’abord les propriétés anesthésiantes de l’oxyde nitreux. Peu de temps après Michael Faraday, connu surtout pour ses travaux sur l’électromagnétisme, démontrera que les vapeurs d’éther possèdent également ces propriétés.

C’est donc l’éther qui sera utilisé pour réaliser la première anesthésie opératoire sur un être humain, en 1842, année où le médecin américain Crawford Williamson Long opéra un patient atteint d’un kyste au cou devant trois témoins. Néanmoins, l’éther se révèlera rapidement irritant pour les poumons, et c’est le chloroforme qui deviendra dès 1847 la principale substance anesthésiante, à l’instigation du docteur James Young Simpson, qui réalisera cette année-là la première opération utilisant ce procédé. La reine Victoria bénéficiera elle aussi d’une anesthésie au chloroforme en 1853 pour la naissance de son fils Léopold.

La clinique du docteur Gross, exécuté par le peintre américain Thomas Eakins, montre ainsi ce à quoi ressemblaient les opérations sous anesthésie en 1875, puisqu’on y voit un médecin opérer un jeune homme à la jambe devant un groupe d’étudiants du Jefferson Medical College, alors que la mère du patient assiste à la scène en détournant les yeux devant l’horreur du spectacle, renforçant la dimension mélodramatique de la scène. Alors qu’au début du XIXème siècle, les possibilités d’opération d’une jambe malade étaient réduites aux amputations, en 1875 grâce notamment à l’anesthésie, les médecins peuvent désormais réaliser des opérations visant à conserver et soigner le membre atteint.

Thomas Eakins (1844-1916), La clinique du docteur Agnew, 1889, huile sur toile,John Morgan Building at the University of Pennsylvania, Philadelphia, Pennsylvania.
Thomas Eakins (1844-1916), La clinique du docteur Agnew, 1889, huile sur toile,John Morgan Building at the University of Pennsylvania, Philadelphia, Pennsylvania.

Néanmoins, la véritable révolution chirurgicale sera celle qui aura lieu dans les années qui suivirent: l’apparition de l’antisepsie et l’asepsie crées par Pasteur et appliquées par Lister, transformeront radicalement l’apparence du bloc opératoire. Ce changement considérable est illustré par un autre tableau de Thomas Eakins réalisé seulement quelques années plus tard, la Clinique du docteur Agnew : les médecins portent désormais non plus leurs costumes de ville mais des blouses blanches spécifiquement prévues pour l’usage médical, les instruments sont stérilisés, et, alors que le bloc opératoire était auparavant entièrement masculin, ils sont désormais assistés d’une infirmière qui porte le plateau sur lequel se trouvent les instruments.

Henri Gervex (1852-1929), Avant l’opération dit aussi Le docteur Péan enseignant à l’hôpital Saint-Louis sa découverte du pincement des vaisseaux, 1887, huile sur toile, Musée d’Orsay.
Henri Gervex (1852-1929), Avant l’opération dit aussi Le docteur Péan enseignant à l’hôpital Saint-Louis sa découverte du pincement des vaisseaux, 1887, huile sur toile, Musée d’Orsay.

L’application de ces techniques reste néanmoins progressive, et ce n’est que vers 1900 qu’elles s’imposent réellement dans tout le corps médical.

Avant l’opération d’Henri Gervex, exécuté en 1887, atteste d’une situation à mi-chemin: le tableau montre la généralisation de l’anesthésie et le recours à des pratiques chirurgicales novatrices, mais il montre aussi que l’asepsie du bloc opératoire n’est pas encore une norme.

Le docteur Jules-Émile Péan (1830-1898) représenté ici est un éminent chirurgien qui a exercé à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Saint-Louis à Paris jusqu’en 1893 et est à l’origine de plusieurs instruments et procédés qui améliorèrent considérablement la chirurgie moderne. L’un de ces instruments est la pince hémostatique, qu’il inventa en 1863 et qui permet d’arrêter une hémorragie par pincement des vaisseaux, toujours utilisée de nos jours et dont il fait ici la démonstration devant ses collaborateurs et élèves avant d’opérer une patiente endormie grâce au chloroforme. Cette toile a été considérée par les critiques de l’époque comme une réinterprétation moderne de la Leçon d’Anatomie du professeur Tulp de Rembrandt, néanmoins la version de Gervex est centrée autour de la personne charismatique du médecin, ici à la fois praticien et enseignant, qu’elle vise à présenter comme acteur de la modernité. Une modernité qui est également visible à l’ensemble des instruments de chirurgie présents sur la table: la médecine est devenue plus précise et donc plus efficace.

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Une pensée sur “Quand on révolutionna la chirurgie

  • 8 mai 2018 à 20 h 35 min
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    non seulement les peintures sont remarquables, mais il y a aussi un témoignage historique trés int’ressant.
    Merci.

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