Quand on hypnotisait les femmes pour les soigner du sexe

Identifiée dès l’antiquité sous Platon, l’hystérie, névrose essentiellement féminine (elle vient d’ailleurs de la même racine grecque que le mot utérus) caractérisée par divers excès émotionnels, connaît un véritable regain d’attention au XIXème siècle, où elle est perçue comme l’un des troubles féminins les plus répandus et focalise sur elle l’attention des médecins et des psychologues.

Ce que l’on appelle “hystérie” à la fin du XIXème siècle est bien loin de notre définition du XXIème siècle, puisqu’on lui attribuait alors à tort et à travers tous les dérèglements de comportement des femmes, notamment les débordements sexuels. A une époque où la sexualité féminine doit être contrôlée et ses excès sont redoutés, cette pathologie est particulièrement crainte et soumise à de nombreux stéréotypes pour beaucoup inexacts tant les contours de ce concept sont larges: on n’hésite pas par exemple à affirmer qu’elle est plus répandue chez les prostituées que parmi le reste de la population, en utilisant comme justification le prétendu appétit sexuel insatiable des filles de joie. Jean-Baptiste Louyer-Villermay, l’un des grands médecins de l’époque, définit ainsi l’hystérie comme un “désir violent et déréglé des plaisirs de l’amour ; bientôt oubli de tout sentiment de pudeur, obscénité dégoûtante, irritation vaginale, délire partiel ou monomanie prononcée, avec asservissement des facultés mentales à l’empire effréné du système utérin”.

Georges Moreau de Tours (1848-1901),Les fascinés de la Charité, 1889, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Reims.
Georges Moreau de Tours (1848-1901),Les fascinés de la Charité, 1889, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Reims.

De nombreux médecins proposent des méthodes variées et pour le moins étonnantes pour la soigner – on pense par exemple à des massages du clitoris avec des vibromasseurs, si si!- mais c’est celle proposée par le célèbre neurologue Jean-Martin Charcot qui connaîtra le plus grand succès, puisqu’ayant assimilé l’hystérie à des troubles neurologiques, il popularise l’hypnose pour faire apparaître  les crises au moment voulu et soigner les manifestations violentes chez les patientes atteintes.

C’est l’une de ces séances d’hypnose collectives se déroulant à l’hôpital de la Charité situé rue des Saints-Pères, dans le 6ème arrondissement de Paris, à l’emplacement de l’actuelle Faculté de Médecine, que nous montre ce tableau du peintre Georges Moreau de Tours. Debout en haut à droite du tableau on aperçoit le neuroanatomiste Jean-Bernard Luys, tandis qu’à sa droite se tient le chef de clinique Gérard Encausse, dit « Le mage Papus » en raison de ses dizaines d’ouvrages consacrés aux sciences occultes.

André Brouillet (1857-1914), Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887, huile sur toile, Université Paris Descartes.
André Brouillet (1857-1914), Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887, huile sur toile, Université Paris Descartes.

Ce tableau du peintre académique André Brouillet représente lui aussi les séances d’hypnose organisées par Charcot pour soigner l’hystérie, mais le contexte est ici très différent. Cette fois-ci, il ne se prête pas à une séance collective en compagnie de plusieurs patientes mais fait la démonstration de cette méthode auprès de ses collègues scientifiques sur le cas d’une seule jeune femme, Blanche Wittman, plongée dans ce qu’il avait identifié comme la 4ème étape de la “grande attaque hystérique”, la période de délire. Pour approfondir ses théories, Charcot a eu recours à d’autres méthodes novatrices pour l’époque: outre l’importance accordée à l’hypnose dans le traitement, il fut également l’un des premiers à se servir des photographies médicales pour identifier et classifier les symptômes cliniques de cette maladie.

A partir de 1878, Charcot donne des leçons hebdomadaires à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris auxquelles assistent le personnel médical et les grands spécialistes, mais aussi des hommes politiques ou des artistes. Avant le début de chaque séance, ses assistants hypnotisaient les patientes pour les plonger dans un état d’hystérie, en ayant recours à un gong ou à un pendule. Sur cette peinture, il est aidé par son assistant Joseph Babinski, qui soutient la jeune femme, avec à sa droite la surveillante générale de l’hôpital de la Salpêtrière, Marguerite Bottard, et l’infirmière, Mlle Ecary, prête à intervenir en cas de chute de la patiente. Parmi les personnalités assistant à la séance on reconnait le propre fils de Charcot, Jean-Baptiste, étudiant en médecine, mais aussi Georges Gilles de la Tourette en tablier blanc au premier plan, connu pour le célèbre syndrome neurologique auquel il a donné son nom et dont on connait surtout la manifestation la plus spectaculaire consistant à prononcer des grossièretés sans pouvoir se contrôler, ou bien encore l’historien de la médecine Paul Richer assis à la table et  le journaliste Jules Clarétie.

Bien que les leçons de Charcot, célèbres dans toute l’Europe, aient été parfois accusées de théâtralisme, ses patientes, dont Blanche Wittman représentée ici, ont toujours défendu le professeur et assuré qu’elles n’avaient pas feint d’exagérer leurs symptômes lors des démonstrations d’hypnose. Parmi les personnalités qui assistaient régulièrement à ces séances se trouvait le jeune Sigmund Freud, qui devrait plus tard formuler ses propres théories sur l’hystérie féminine et, fait amusant, a conservé toute sa vie une lithographie de ce tableau accrochée au-dessus de son divan.

Partager l'article:
0

Une pensée sur “Quand on hypnotisait les femmes pour les soigner du sexe

  • 21 mars 2018 à 19 h 50 min
    Permalink

    Très intéressant, encore une fois, merci !

    Répondre

Répondre à Bernard Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *