Quand la pédiatrie éradiqua la mortalité infantile

C’est en France sous la IIIème République qu’émerge pour la première fois véritablement une médecine spécialisée autour des enfants et des nourrissons. Alors que la faiblesse démographique du pays a été perçue par l’opinion publique comme l’une des principales causes de la défaite face à la Prusse en 1870 et que l’on craint la dépopulation, le gouvernement républicain arrivé au pouvoir en 1879 s’empresse de mettre la politique sanitaire liée aux naissances au centre de ses préoccupations sociales afin de repeupler le pays rapidement.

Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique.

L’accouchement est la première spécialité médicale à être reconnue en 1881, et les hôpitaux aménagent les maternités selon les règles d’hygiène préconisées par Louis Pasteur. Mais quand bien même les conditions des accouchements s’améliorent, le bon suivi des naissances ne suffit pas :  c’est aussi la mortalité infantile – notion qui désigne le taux d’enfants morts avant l’âge d’un an – encore élevée à l’époque, qu’il faut combattre, et cette préoccupation donne naissance à une nouvelle discipline spécialisée dans le bien-être des nourrissons, la puériculture.

Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique
Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique

En 1892, le Dr Gaston Variot (1855-1930), chef de service dans plusieurs hôpitaux, créé la Goutte de lait, le premier dispensaire de proximité dans le quartier populaire de Belleville à Paris, qui vise à permettre l’accès aux soins et au lait de vache stérilisé pour les nouveau-nés des populations ouvrières plus touchés par la mortalité infantile que les autres, une initiative mise en place sous le même nom à Fécamp en Normandie par le docteur Léon Dufour en 1894. Les bébés y font l’objet d’une consultation gratuite, où ils sont pesés, mesurés, et soignés lorsqu’ils souffrent de troubles digestifs, et on y distribue des portions de lait stérilisé. C’est le Dr Variot lui-même qui a fait commande de ce triptyque auprès du célèbre peintre naturaliste spécialisé dans les scènes enfantines Jean Geoffroy dit Géo, afin de faire la publicité de ces dispensaires, et l’image est rapidement diffusée dans toute la France sous forme de gravures et de cartes postales. A travers le choix d’un triptyque, format habituellement réservé aux scènes religieuses, l’expression rassurée des jeunes mères et la place centrale du docteur  dans la composition, l’image se veut l’exemple de « la toute-puissance du médecin dans l’art de prévenir, alors qu’il est si souvent vaincu dans l’art de guérir » (Adolphe Pinard).

Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique
Jean Geoffroy dit Géo (1853-1924), La goutte de lait, 1903, huile sur toile, Musée de l’assistance publique

Pourtant, outre ce volet préventif, les progrès de la médecine infantile visent aussi à mieux savoir guérir. Tous les médecins du monde savent qu’il est parfois nécessaire d’agir dans l’urgence pour sauver la vie d’un  patient dont la vie est menacée de façon imminente, et parmi ces patients gravement atteints se trouve un nombre anormalement élevé de nourrissons mais aussi d’enfants de moins de 10 ans, encore vulnérables à toutes sortes de virus et d’infections puisque dans le dernier tiers du XIXème siècle, jusqu’à 20% des enfants hospitalisés décèdent d’une infection mortelle. Beaucoup de ces maladies infantiles affectent les voies respiratoires, comme par exemple la tristement célèbre tuberculose ou bien encore la diphtérie, une maladie potentiellement mortelle très répandue chez les enfants au XIXème siècle.

Georges Moreau de Tours (1848-1901), Le tubage, 1904,huile sur toile, Musée de l’assistance publique de Paris.
Georges Moreau de Tours (1848-1901), Le tubage, 1904,huile sur toile, Musée de l’assistance publique de Paris.

Pour sauver la vie d’un enfant en train de s’étouffer, outre la trachéotomie, une ouverture de la trachée haute du larynx préconisée dès 1818 mais qui reste encore assez risquée, une nouvelle technique plus précise est mise en place durant la seconde moitié du XIXème siècle, le tubage, qui consiste à introduire un tube creux dans le larynx pour dégager les voies respiratoires. Le tubage sera très utilisé dans le cas de la diphtérie pour laquelle un sérum sera de plus inventé par le Docteur Roux en 1894, permettant d’éradiquer définitivement cette maladie. Ici, on aperçoit à droite du tableau un interne occupé à préparer le fameux sérum qui permettra de sauver la vie de l’enfant situé au centre de l’attention. Les observateurs de la scène, qui se déroule à l’hôpital Bretonneau dans le service du docteur Josias, sont concentrés et retiennent leur souffle en espérant le succès de l’injection tant attendue.

Au fil des décennies, la persévérance des médecins à combattre les maladies infantiles finira par payer : vers 1920, la mortalité infantile a déjà chuté à seulement 11%, avant d’atteindre 5,8% en 1935. Pour information, en 2015, le taux de mortalité infantile en France métropolitaine est de 3,5 décès pour 1000 naissances.

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3 pensées sur “Quand la pédiatrie éradiqua la mortalité infantile

  • 10 avril 2018 à 19 h 41 min
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    Comme ça a brule pourpoin
    ….depuis que l avortement est legalisé….mais la je fais du
    TRES mauvais esprit…..

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  • 9 mai 2019 à 9 h 11 min
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    La ville de Fécamp honore le souvenir du Dr Léon Dufour qui , dans le même temps (1894), y ouvrit une « Goutte de lait ». Il collecta toute sa vie des objets et informations relatifs à la petite enfance , fonds actuellement visible au Musée des Pêcheries de la ville .

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  • 10 mai 2019 à 14 h 09 min
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    N’est-ce pas plutôt l’amélioration des conditions d’hygiène qui a fait baisser la mortalité infantile?
    Pour la médecine, comme les chiffres donnés le montrent, c’est surtout après 1935 que ça a baissé (de 5,8% à 0,35%) avec les antibiotiques, dont la pénicilline.

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