5 reines incroyables oubliées de l’Histoire
Sainte Élisabeth de Hongrie

Quand on pense aux Saints de lignée royale, le premier nom qui vient en tête est bien sûr celui de Saint Louis, et les esprits avertis penseront aussi à Sainte Clotilde, l’épouse de Clovis qui permit sa conversion au catholicisme. Pourtant, à l’Est de chez nous, une autre souveraine très célèbre en son temps fut auréolée du titre de Sainte, la reine Élisabeth de Hongrie, qui vécut au XIIIème siècle et fut l’épouse du landgrave Louis IV de Thuringe, un État rattaché au Saint Empire romain germanique. Au début du règne de son mari, auquel elle fut mariée à 15 ans, elle découvrit l’ordre de Saint François d’Assise, ordre catholique mendiant à la fois contemplatif et actif prônant la pauvreté et l’humilité et implanté en Allemagne à partir de 1221. Élisabeth se fait alors remarquer par sa grande piété, l’humilité qu’elle affichait en toute circonstance, mais aussi ses œuvres de charité auxquelles elle consacre tous les revenus dont son mari lui laisse la liberté de disposer. Lorsque la famine éclata en l’absence de Louis IV, elle n’hésita pas à vendre ses bijoux pour faire construire un hospice dans lequel elle servait du pain aux malades et aux nécessiteux. Ses actions attirèrent sur elle le désamour de sa belle-mère, estimant qu’elle ne se comportait pas conformément à son statut de reine. En revanche, son mari, uni à elle par un profond amour et un respect mutuel, fermait les yeux sur ce que ses conseillers et sa famille qualifiaient des extravagances de sa femme, et les invita à faire de même.

Mais à la mort du roi en croisade, sa belle-famille en profita pour chasser Élisabeth, alors âgée de 20 ans, et ses enfants qui se réfugièrent dans une porcherie, puis chez les franciscains avant d’être recueillie par des parents à elle. Après avoir confié ses enfants sous bonne garde, Élisabeth rejoignit l’ordre franciscain et fit vœu de renoncer au monde le vendredi saint de l’an 1228. Elle se consacra dès lors au secours des pauvres et des malades, les soignant elle-même dans un hôpital qu’elle fit construire, et vécut dans un extrême dénuement, sous l’égide du sévère prêtre Maître Conrad de Marbourg, qui lui faisait appliquer la règne d’un façon très dure et n’hésita pas à chasser les dames de compagnie avec lesquelles elle vivait depuis l’enfance. Elle finit par mourir d’épuisement à l’âge de 24 ans.

Jeanne la Folle
Troisième fille de Ferdinand d’Aragon et de la reine Isabelle de Castille, Jeanne naît en 1479 en Espagne et devint héritière présomptive du trône de Castille après les morts successives et prématurées de son frère et sa sœur aînés. Alors qu’elle avait quinze ans, ses parents la marièrent au fils de l’empereur d’Autriche, Philippe le Beau. Éblouie par la beauté de son mari, elle lui voua une passion amoureuse démesurée, qui se traduisait par de violents accès de dépression et de folie lorsqu’elle était éloignée de lui en raison de ses grossesses, puis, plus tard, lorsqu’elle apprit ses infidélités. Elle développa alors des problèmes mentaux avérés, – elle souffrait probablement de schizophrénie, comme sa grand-mère-, qui semblent avoir été accentués par sa situation de « poule pondeuse » et par les enfermements que lui imposèrent ses parents, très inquiets de ses crises et soucieux de la préserver des vicissitudes de son époux.

Bien que proclamée reine à la mort de sa mère en 1504, Jeanne ne put jamais régner. Sa mère désigna par voie testamentaire son époux Ferdinand d’Aragon, père de Jeanne, comme régent, qui se partagea le gouvernement d’Espagne avec son gendre Philippe le Beau. Le décès de ce-dernier deux ans plus tard, en 1506, plongea Jeanne définitivement dans la folie, celle-ci refusant, raconte-t-on, de se séparer de son cercueil, un épisode qui a beaucoup marqué les peintres espagnols. Suite à cela, son père la fait interner et lui retire ses enfants, lui laissant uniquement la garde de la dernière-née. Parmi ses enfants se trouvait d’ailleurs le célèbre Charles Quint, qui, à la mort de Ferdinand II en 1516, prit le pouvoir et devait devenir le monarque le plus puissant de la première moitié du XVIe siècle, ne rendant à sa mère que des visites très occasionnelles. S’il est certain que Jeanne possédait un état psychologique instable, le mystère plane sur l’intensité de ses troubles mentaux, qui ont peut-être été exagérés par son père et son mari afin de l’écarter du pouvoir.

Blanche de Norvège
Blanche de Namur est sans doute la plus emblématique des reines scandinaves du Moyen-âge, pourtant aujourd’hui, hormis une bière namuroise à laquelle elle a donné son nom, peu de gens la connaissent. Jeune fille noble née en 1320 du comte Jean Ier de Namur, Blanche grandit au château de Wynendaele, dans l’actuelle Belgique. D’après la légende, Magnus IV Eriksson, roi de Suède et de Norvège, fit escale à Wynendaele et fut séduit par la beauté de la jeune princesse alors qu’il faisait route pour la France en quête d’une prestigieuse épouse; néanmoins, il est fort possible qu’en réalité ce mariage ait été arrangé. Quoiqu’il en soit, la princesse s’embarqua pour la Scandinavie en août 1335, alors âgée d’une quinzaine d’années, et ne devait plus jamais fouler à nouveau les terres de son enfance. Blanche devint une souveraine connue et célébrée pour sa beauté, mais aussi pour son amour des arts et de la culture et, avant tout, sa fidélité à son mari. Très uni, le couple royal eut deux fils, le prince Eric et le prince Haakon représenté enfant dans le tableau ci-dessous, et trois filles, mortes en bas âge. Blanche et son mari convinrent qu’Eric deviendrait roi de Suède et Haakon roi de Norvège, néanmoins, lorsqu’en 1356 Haakon atteignit sa majorité et entama son règne sur la Norvège, Eric, désireux de régner lui aussi, engagea une rébellion contre l’autorité de son père et l’obligea à partager le royaume de Suède avec lui, un conflit dans lequel Blanche se rangea du côté de son mari. A la mort d’Eric et de sa femme en 1359, Blanche fut accusée de les avoir empoisonnés, sans que ces accusations n’aient jamais prouvé être fondées, et les historiens pensent plutôt aujourd’hui qu’ils auraient succombé à la peste.

Bien que louée pour sa beauté de son vivant, l’image physique de la reine Blanche reste un mystère, les portraits n’étant pas véristes à l’époque, et le peintre finlandais Albert Edelfelt s’est donc livré à une fantaisie artistique pour imaginer ses traits dans ce tableau.
Berthe de Souabe

Une autre reine du Moyen-âge aujourd’hui relativement oubliée a bénéficié d’une renommée tout aussi importante : la reine Berthe de Souabe, née en 907 et mariée au roi Rodolphe II de Bourgogne. Elle est associée à la légende d’une reine pieuse et modeste, qui se consacrait à l’éducation des jeunes filles et parcourait le royaume une quenouille à la main pour y faire ériger des monastères. Néanmoins, cette légende remonte en réalité au XIIème siècle et émane de l’abbatiale de Payerne, un prieuré dont la construction débuta entre 961 et 965 à l’initiative de la fille de Berthe, l’impératrice Adélaïde, mariée à Otton Ier du Saint-Empire, qui utilisa pour cela les donations faites par sa mère. Deux siècles plus tard, afin de jouir de davantage d’indépendance, les moines du prieuré firent fabriquer de faux documents désignant la reine Berthe comme la fondatrice de l’abbaye, qui leur octroyaient le droit d’élire eux-mêmes leur abbé et qu’ils signèrent avec le sceau de la reine représentée avec une quenouille. Mais la légende ainsi créée au sujet de la reine Berthe dépassa leurs ambitions et resta encore vivace jusqu’au XIXème siècle, puisqu’Alexandre Dumas lui-même, en voyage en Suisse en 1832 pour fuir l’épidémie de choléra à Paris, se rendit devant les prétendus ossements de la reine Berthe découverts à Payerne en 1817. A l’instar de Blanche de Namur qui a donné son nom à une bière (sans qu’on sache trop pourquoi), Berthe a elle aussi laissé sa trace…dans notre vocabulaire, puisque sa légende de reine fileuse a donné lieu à l’expression « Ce n’est plus le temps où la reine Berthe filait », qui fait référence à un événement dépassé (ce que l’on comprend vu qu’elle a quand même vécu au Xème siècle) et que l’on attribue souvent à tort à l’autre Berthe, mère de Charlemagne.
Barbara Radziwiłł

L’histoire de Barbara Radziwiłł, devenue reine de Pologne lorsqu’elle épousa le roi Sigismond II de Pologne en 1547, illustre la victoire de l’amour sur les manœuvres politiques, et la passion qui les unissait est sans doute l’une des plus sincères et dévouées qui existèrent parmi les couples royaux de l’Histoire. Barbara Radziwiłł est issue de l’une des plus puissantes familles du Grand duché de Lituanie, qui la maria à l’âge de seize ans à Stanislovas Goštautas, issu lui aussi de la haute noblesse lituanienne. A la mort prématurée de son mari en 1542, celui-ci étant le dernier hériter mâle de sa lignée et leur union n’ayant pas donné d’enfants, ses possessions allèrent au roi de Pologne Sigismond Ier qui en confia la propriété à son fils Sigismond II. Celui-ci se rendit sur les terres avec sa première épouse en 1543, et on suppose que c’est lors de sa première rencontre avec Barbara que tous deux tombèrent amoureux l’un de l’autre, néanmoins aucun document ne permet d’en attester jusqu’à la mort de l’épouse de Sigismond II d’une crise d’épilepsie en 1545. Désormais tous les deux veufs, les deux jeunes gens purent s’aimer en toute liberté et débutèrent une relation amoureuse passionnée, partant chasser ensemble 223 jours sur 365 durant l’année 1546. On raconte même que Sigismond fit construire un tunnel secret reliant son palais à Vilnius de celui de Barbara situé non loin afin de pouvoir se rencontrer en secret à la nuit tombée. En 1547, probablement au cours de l’été, tous deux se marièrent en secret. Lorsqu’il rendit cette union publique en 1548, les seigneurs du royaume s’y opposèrent vivement, soutenus par la reine mère Bona Sforza, arguant qu’il était inconcevable qu’un roi épousa l’une de ses sujettes, mais en réalité surtout à cause de la proximité de Barbara avec son frère, Nicolas Radziwill, et son cousin, Mikolaj Radziwill le Rouge, qui intriguaient pour obtenir le contrôle du grand-duché de Lituanie et garantir la souveraineté de leur pays vis-à-vis de la Pologne. Ses détracteurs n’hésitèrent pas à faire courir les pires rumeurs et pamphlets sur elle, l’accusant de promiscuité et d’avoir séduit le roi par la sorcellerie. Pourtant, les lettres qu’elle échangeait avec sa famille et avec son mari la font apparaître comme une épouse dévouée et un femme soucieuse des autres, peu intéressée par les intrigues politiques et davantage préoccupée par la mode et le bien-être de son époux que par le pouvoir.

Finalement, la lutte de Sigismond pour faire accepter sa relation avec Barbara finit par payer et celle-ci put être couronnée reine en 1450. Malheureusement, son règne fut de courte durée, puisque sa santé ne cessait de décliner et qu’elle mourut quelques mois plus tard, en 1451, à l’âge de 30 ans. Durant sa maladie, elle fut veillée avec dévouement par son mari qui ne quittait pas son chevet et fit même casser les portes de la ville pour pouvoir la transporter par un convoi spécial à Niepołomice afin de la soigner, n’en ayant malheureusement pas le temps avant sa mort. Les rumeurs voulaient qu’elle aurait été empoisonnée par la reine-mère Bona Sforza, qui lui écrivit peu de temps avant pour faire savoir qu’elle reconnaissait son mariage avec son fils, néanmoins, les historiens pensent aujourd’hui, après examen de son cadavre découvert en 1931 qui a révélé qu’elle souffrait de divers problèmes de santé, notamment de rachitisme, qu’elle aurait succombé à un cancer des ovaires. Après sa mort, le roi mena une vie austère, refusant de prendre part au fêtes et s’habillant souvent de noir, en souvenir de celle qu’il ne cessa jamais d’aimer. L’intensité de leur amour, et leur persévérance face aux intrigues politiques, a inspiré de nombreux artistes et écrivains polonais, et fut notamment immortalisée dans la légende populaire de Pan Twardowski, un sorcier qui, à l’image de Faust, a fait un pacte avec le diable en échange de pouvoirs surnaturels et fait revenir à la demande de Sigismond II le spectre de sa bien-aimée.
