Quand on exécuta l’homme venu libérer les esclaves

John Brown est un activiste anti-esclavagiste américain qui fut l’un des principaux acteurs du mouvement abolitionniste américain dans les années 1850, au moment où le débat sur la question devient plus virulent que jamais. Il est connu pour ses actions violentes qui, dans le contexte d’une forte opposition juridique entre le camp abolitionniste, soutenu par les Etats du Nord, et le camp pro-esclavagiste, soutenu par les Etats du Sud, contribuèrent à alimenter les tensions politiques sur l’esclavage.

L’esclavage était pratiqué aux  Etats-Unis dès l’installation des premiers colons européens au  XVIIème siècle, mais il fut interdit dans les Etats du Nord dès 1787. En 1808, la traite négrière, c’est-à-dire le commerce d’esclaves en provenance des autres continents, fut interdite sur tout le territoire américain, en revanche l’esclavage en tant que tel continuait à être pratiqué dans les Etats du Sud, et ce malgré l’exemple montré par l’Angleterre qui l’abolit totalement en 1833.  Au contraire, l’invention de la machine à égrener le coton en 1793, faisant bientôt de l’industrie du coton un marché florissant nécessitant de grandes quantités de main d’œuvre dans les plantations, contribua à faire de l’esclavage un enjeu économique très important aux Etats-Unis et à cristalliser les tensions sur le sujet.

Eyre Crowe (1824–1910) , Slaves waiting for sale (Esclaves attendant la vente), 1861, Heinz History Center Collections.
Eyre Crowe (1824–1910) , Slaves waiting for sale (Esclaves attendant la vente), 1861, Heinz History Center Collections.

Différents éléments expliquent la prise de conscience de John Brown contre l’esclavage. Fils d’un fervent calviniste opposé à toute forme de servitude, sa famille est hébergée alors qu’il est âgé de 12 ans chez un propriétaire d’esclaves du Michigan, où il assiste à des scènes de violence envers ces-derniers qui le traumatisèrent à jamais; l’assassinat en 1837 de son ami Elijah Lovejoy, éditeur pour un journal abolitionniste, achève de forger ses convictions. Enfin, la publication, en 1852, du roman de Harriet Beecher Stone, La case de l’oncle Tom, racontant l’histoire d’un vieil esclave dévoué à son maître et qui parvient à surmonter les épreuves qu’on lui inflige grâce à sa foi en Dieu, un ouvrage qui connait un succès fracassant aux Etats-Unis, le conforte dans l’idée qu’une pratique aussi ignoble doit être abolie au plus vite, quand bien même cela devrait passer par des actions violentes. Révolté par ce qu’il considère comme la passivité et la lâcheté des militants anti-esclavagistes, il fait alors le serment de détruire l’esclavage coûte que coûte.

WGL269070 The Hunted Slaves, 1862 (oil on canvas) by Ansdell, Richard (1815-85); 184x308 cm; © Walker Art Gallery, National Museums Liverpool; English, out of copyright
Richard Ansdell (1815–1885), The Hunted Slaves, 1862, huile sur toile, Walker Art Gallery © Walker Art Gallery, National Museums Liverpool; English, out of copyright

En 1855, il s’installe avec cinq de ses fils dans le Kansas, un territoire fondé en 1854 par les colons français de Saint-Domingue chassés par la révolution haïtienne de 1791 à 1804 et qui ne fait pas encore partie de l’Union. Le choix de John  Brown est loin d’être anodin : le Kansas constitue alors l’épicentre de la lutte entre les partisans esclavagistes, majoritairement originaires de l’Etat voisin du Missouri, les Border Ruffians, et les abolitionnistes, les Free Soilers, les deux camps se déchirant pour déterminer si l’Etat intégrerait l’Union comme un Etat du Sud esclavagiste ou comme Etat libre, le Kansas-Nebraska Act de 1854 ayant annoncé que cette question serait réglée par la souveraineté populaire. Les hostilités mènent à une escalade de la violence entre les deux camps qui donne lieu à une série d’affrontements meurtriers prenant le nom de Bleeding Kansas (Kansas sanglant), et dont John Brown est l’un des principaux instigateurs.

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John Brown vers 1856, daguerréotype.

Dans la nuit du 24 mai 1856, en réaction au saccage du village pro-abolitionniste de Lawrence par des esclavagistes,  lui et ses compagnons tuent 5 hommes du parti adverse sous le prétexte qu’ils auraient proféré des menaces, un évènement connu aujourd’hui comme le massacre de Pottawatomie. Le 2 juin suivant, ils affrontent avec des armes des membres du parti pro-esclavagiste ayant capturé deux de ses fils, lors de la bataille de Black Jack, au terme de laquelle Brown fait prisonnier les partisans esclavagistes, qu’il n’accepte de délivrer qu’en échange de ses fils, avant de quitter le Kansas quelques temps plus tard.

John Steuart Curry (1897-1946), Tragic Prelude, 1938, huile et tempera, fresque ornant le Capitole de l'État du Kansas et représentant John Brown durant les évènement du Bleeding Kansas.
John Steuart Curry (1897-1946), Tragic Prelude, 1938, huile et tempera, fresque ornant le Capitole de l’État du Kansas et représentant John Brown durant les évènement du Bleeding Kansas.

Néanmoins, John Brown préparait une autre action coup de poing visant cette fois-ci à s’attaquer directement à l’armée d’un des plus puissants Etats esclavagistes : la Virginie. Il s’allie à l’autre célèbre abolitionniste de cette époque, l’ancien esclave Frederick Douglass, et au groupe secret des Six qui lui offrent des financements. Le 16 octobre 1859, John Brown s’empare avec un commando de 21 hommes, 16 blancs et 5 noirs, de l’arsenal fédéral de Harper Ferry situé en Virginie. Il espérait pouvoir armer des esclaves noirs et déclencher une rébellion, mais ses plans échouent car, après avoir attendu toute la nuit, aucun esclave ne se mobilise, et ses hommes sont pratiquement tous tués ou capturés par les marines du général Lee, qui devait plus tard prendre la tête de l’armée confédérée lors de la Guerre de Sécession. Egalement, capturé, John Brown est jugé dans un procès expéditif à peine deux semaines plus tard, et condamné à la pendaison. En France, où l’esclavage a été aboli en 1848, Victor Hugo, connu pour ses positions humanistes et ses engagements sociaux,  prit sa défense dans un célèbre plaidoyer qu’il publia sous forme de lettre, et dans lequel il  n’hésite pas à le qualifier de « martyr ».

Thomas Hovenden (1840–1895) , The last moments of John Brown (Les derniers moments de John Brown), v.1884, huile sur toile, musée des Beaux-arts de San Francisco.
Thomas Hovenden (1840–1895) , The last moments of John Brown (Les derniers moments de John Brown), v.1884, huile sur toile, musée des Beaux-arts de San Francisco.

Cet évènement est considéré comme l’un de ceux qui ont précipité le début de la guerre de Sécession en 1861. L’incapacité des Etats du Nord et des Etats du Sud à se mettre d’accord sur la question de l’esclavage et les conflits armés auxquels John Brown avait pris part dégénèrent en un engrenage de provocations de la part des deux camps et finirent par aboutir sur la guerre civile de 1861, déclenchée par la sécession de 11 Etats du Sud peu après l’élection d’Abraham Lincoln à la présidence de l’Union. Durant ladite guerre, la chanson « John Brown’s body », inspirée par le combat du militant considéré comme un martyr par les abolitionnistes, devint l’un des hymnes les plus populaires parmi les troupes nordistes.  Après quatre années de conflit, la guerre devait être remportée par l’Union d’Abraham Lincoln, qui abolit officiellement l’esclavage dans les Etats-Unis d’Amérique par le XIIIème amendement de la Constitution le 18 décembre 1865. Néanmoins, les conflits raciaux aux Etats-Unis étaient loin d’être terminés, puisqu’afin de contourner le XIIIème amendement, les Etats du Sud adoptèrent dès 1876 les lois Jim Crow qui régissent les relations entre les blancs et les noirs, organisent la ségrégation et imposent à ces-derniers d’innombrables restrictions de leurs droits, des lois qui ne seront finalement abolies qu’un siècle plus tard, en 1964.

Thomas Satterwhite Noble (1835-1907), John Brown's blessing (La bénédiction de John Brown), 1867, huile sur toile, New-York Historical Society.
Thomas Satterwhite Noble (1835-1907), John Brown’s blessing (La bénédiction de John Brown), 1867, huile sur toile, New-York Historical Society.

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