Quand une impératrice se prostitua : Messaline
Devenue impératrice à 16 ans à une époque où l’Empire romain était régi par la corruption, les crimes, les incestes et les adultères, Messaline est restée dans les mémoires comme la plus scandaleuse des souveraines de l’Histoire, guidée par une nymphomanie sans limites qui la poussa même à se prostituer. Retour sur l’un des personnages les plus fascinants de l’Antiquité romaine.
Née aux alentours de l’an 25 après Jésus-Christ, Valeria Messalina appartient par sa mère à la puissante dynastie julio-claudienne de laquelle sont issus tous les empereurs romains depuis Auguste. Elle grandit dans le contexte des règnes décadents des empereurs Tibère, connu pour les orgies qu’il faisait organiser, et Caligula, souverain monomane espérant se faire déifier de son vivant. Mais Messaline ne reste pas bien longtemps dans l’enfance : dès l’âge de 13 ans, en l’an 38, un mariage est arrangé entre elle et son cousin Claude, de 35 ans son aîné et déjà marié deux fois auparavant. Claude est un homme très instruit, l’un des rares à savoir lire la langue étrusque, mais il passe aussi pour un idiot bègue et incapable de se mêler de politique, sans doute une stratégie de sa part pour passer inaperçu dans le monde impitoyable de la politique romaine.

Malgré la différence d’âge entre elle et son mari, Messaline se comporte d’abord comme une épouse modèle et donne bientôt naissance à deux enfants, Octavie, qui épousera plus tard Néron, et Britannicus, qui deviendra lui-même l’ennemi juré de son beau-frère Néron et inspirera la tragédie éponyme de Racine.
En 41, le destin des deux époux bascule lorsque Caligula est assassiné et que Claude est proclamé empereur. Souverain hésitant et timoré, Claude s’entoure de nombreux conseillers, parmi lesquels sa femme, et il met en place une politique prospère pour l’empire : il réalise la conquête de la Grande-Bretagne, jusque là simplement visitée par Jules César, et, sur l’avis de Messaline, il fait construire le port d’Ostie qui permet de mieux acheminer les récoltes de blé à Rome et de réduire les inondations à l’intérieur de la ville.

Mais, devenue impératrice à 16 ans, Messaline change alors radicalement de comportement dans sa vie privée. Sans doute lasse des nombreuses relations extraconjugales de son mari, elle se met, avant même d’avoir atteint l’âge de 20 ans, à entretenir de nombreuses liaisons et multiplie les amants. Sa lubricité étant, d’après Juvénal, insatiable, Messaline revêtait même la nuit une perruque blonde et se rendait dans les lupanars et les bouges infâmes de Rome, où elle se donnait aux hommes et aux beaux gladiateurs moyennant paiement, avant de ramener l’odeur du bordel dans la couche impériale, fatiguée des hommes mais non pas rassasiée. Aussi scandaleuse que soient ces frasques pour l’épouse de l’empereur, une telle pratique n’était en fait pas si isolée que ça dans la Rome du Ier siècle, où de nombreuses patriciennes aimaient passer en secret une nuit avec un gladiateur, galvanisées par l’idée de se donner à un homme qui allait mourir au combat le lendemain et qui représentait en outre un fantasme et un idéal de virilité pour de nombreuses femmes à cette époque.

Mais davantage encore que la simple expression d’un fantasme féminin répandu à cette époque, les turpitudes de Messaline sont en fait à l’image d’une société romaine où l’Empire est au sommet de sa gloire politique, dominant la moitié du monde connu grâce à une administration et une armée très fortes, mais qui se caractérise à côté de cela par une perte totale de repères moraux et le règne de la décadence, bien loin du sens du devoir et de l’austérité morale archaïques qui régissaient la société romaine au temps de la République. A l’époque où vit Messaline, les élites romaines perpétuent l’inceste, l’adultère et l’assassinat de façon presque institutionnalisée, une instabilité morale qui durera jusqu’au retour d’une religion rigoriste avec l’avènement du christianisme au IVème siècle. Messaline est le parfait exemple de ces moeurs dissolues : elle n’hésite pas à jeter son dévolu sur un ancien amant de Caligula (la bisexualité étant répandue chez les empereurs à cette époque) ou bien encore sur son propre beau-père, le second mari de sa mère, qu’elle fait condamner quand ce-dernier refuse ses avances. En effet, mieux valait ne pas résister à la fougue de l’impératrice, au risque d’y laisser sa vie : dès qu’un homme se refusait à elle, celle-ci le faisait exécuter ou bannir en l’accusant pour des motifs fallacieux, encouragée en cela par le système de délation existant à Rome à cette époque et qui décrète que tous les biens d’un condamné reviendront à celui ou celle qui l’a dénoncé. Par ces méthodes immorales, Messaline fait notamment l’acquisition des somptueux jardins de Lucullus, aujourd’hui rattachés à la villa Médicis.

L’appétit sexuel sans limite de Messaline devient bientôt connu de tous, sauf de Claude lui-même, qui ignore alors totalement qu’il est l’homme le plus cocu de Rome et que personne ne juge apparemment bon de le prévenir des frasques de sa femme, sans doute par peur d’essuyer la colère impériale. Malheureusement, Messaline commet à l’âge de 23 ans et après des années de libertinage la faute de trop : devenue, en cet an 48, éperdument amoureuse d’un jeune sénateur appelé Caius Silius et que l’on désignait alors comme le plus bel homme de Rome, elle profite l’absence de son mari, parti en province pour des fêtes organisées en l’honneur du dieu Bacchus, pour épouser son amant. Les deux amants organisent une noce grandiose durant laquelle ils se marient devant témoins, complotent contre Claude et annoncent leur décision de renverser l’empereur.

Informé de ce complot, Claude découvre alors tout d’un coup les multiples trahisons de sa femme et rentre sur le champ à Rome pour faire exécuter les amoureux. Si Caius Silius est assassiné, Messaline elle réussit dans un premier temps à s’échapper, avant d’être rapidement retrouvée par son mari. Hésitant dans un premier temps à ordonner l’assassinat de sa femme, Claude envoie un soldat pour la forcer au suicide comme cela se faisait souvent à l’époque dans les élites romaines afin de préserver l’honneur des condamnés. Ainsi acculée, Messaline s’empare d’un poignard et tente de se donner la mort mais n’y parvient pas et le soldat l’exécute alors froidement, mettant brutalement fin à la vie scandaleuse de la jeune femme qui devait rester dans l’Histoire comme la plus scandaleuse des reines, mais aussi comme l’incarnation de la figure fantasmée de la prostituée par plaisir, un cliché encore prégnant aujourd’hui.

Quant à l’Empereur Claude, on raconte qu’il fut bien peu affecté par la mort de sa femme, et se contenta de continuer placidement son dîner sans montrer plus de signes d’émotions lorsqu’on lui apprit la nouvelle. Une telle cruauté fut loin d’être la dernière au sein de la dynastie julio-claudienne: s’étant remarié avec une quatrième femme, Agrippine, Claude est empoisonné au moyen de champignons vénéneux par cette-dernière, déclarant à ses gardes prétoriens sur son lit de mort que le mariage ne lui avait décidément pas réussi. Néron – le fils de cette-dernière – lui succéda et son règne fut marqué par la tyrannie et le despotisme, l’empereur n’hésitant pas à faire assassiner sa propre mère et à pousser au suicide Octavie, fille de Claude et Messaline qu’il avait épousée en premières noces. La dynastie julio-claudienne s’éteignit avec lui lorsque acculé par la révolte des patriciens contre sa dictature, il se donna la mort, après quoi quatre empereurs se succéderont en une année, avant qu’une nouvelle dynastie n’arrive au pouvoir, les Flaviens.

Sources:
Philippe Delorme. Scandaleuses princesses. Pygmalion Editions, 2005.
Tacite, Œuvres complètes, traduction et notes de Pierre Grimal, Bibliothèque de la Pléiade, 1990.
Suétone, Vie des douze Césars, « Claude ».
Juvénal, Satires, Les Belles Lettres, Coll. Classiques en poche 2002.