Pourquoi il n’y a pas eu de femmes médecins pendant plus de 500 ans

Alors qu’elles étaient nombreuses depuis l’Antiquité à pratiquer cette discipline, le Moyen-âge, et plus précisément l’année 1322, a vu, au terme d’un procès retentissant, disparaître les femmes médecins en France sous l’effet d’une interdiction qui durera jusqu’à la fin du XIXème siècle. Mais que s’est-il passé pour en arriver jusque là? 

Au début du Moyen-âge, la médecine occidentale connait une période de stagnation, voire même de recul par rapport à la pratique antique, les grands traités médicaux écrits à cette époque par des savants grecs comme Hippocrate ou Galien ayant été perdus lors des invasions barbares et ne subsistant que sous forme parcellaire dans les manuscrits des monastères. La médecine ne constitue alors pas un corps de métier organisé, et les médecins se déclinent principalement en deux groupes :

  • les religieux, moines et abbesses, qui étudient les traités médicaux et pratiquent une médecine savante prodiguée aux fidèles. Parmi les religieuses ayant étudié la médecine on peut citer la célèbre  Hildegarde de Bingen, qui vécut au XIIème siècle et publia parmi ses écrits un traité médical intitulé Les causes et les remèdes. 
  • les praticiens laïcs, catégorie hétéroclite mêlant des apothicaires, des chirurgiens (une profession alors assimilée à celle de  barbier et assez dévalorisée) et des soigneurs, alors pas encore appelés médecins, comportant dans leurs rangs aussi bien des hommes que des femmes. La plupart étaient des non-professionels, exerçant un autre métier et ayant appris la pratique des soins sur le tas, sans connaissances théoriques, dispensant des consultations à leurs voisins en cas de besoin.
1906 --- The VJames Doyle Penrose (1862-1932), Le dernier chapitre, 1906, huile sur toile © Fine Art Photographic Library/CORBIS
James Doyle Penrose (1862-1932), Le dernier chapitre, 1906, huile sur toile © Fine Art Photographic Library/CORBIS

Néanmoins, à partir du XIème siècle, la médecine connut d’importantes évolutions. Grâce à la découverte et à la traduction des traités de médecine arabes reprenant les traités antiques perdus, la discipline gagna en rigueur et précision et bientôt, de véritables professionnels de la médecine apparurent, formés dans des écoles dédiées dont la plus célèbre est celle de Salerne, en Italie, de laquelle étaient issus la plupart des grands praticiens des XIème et XIIème siècles. Le nombre de médecins ayant reçu un véritable enseignement théorique, appelés « mires » ou « miresses » pour les femmes, ou bien « physiciens » ou « physiciennes » pour ceux qui étaient versés dans la chirurgie, augmenta, et le savoir médical quitta peu à peu le giron de l’Eglise pour se laïciser, si bien qu’à partir du XIIème siècle, celle-ci interdit progressivement aux moines d’exercer dans les villes pour se consacrer aux soins dans les campagnes.

Miniature représentant l'école de médecine de Salerne à partir d'une copie du Canon de la médecine d'Avicenne. Bibliothèque de l'Université de Bologne.
Miniature représentant l’école de médecine de Salerne à partir d’une copie du Canon de la médecine d’Avicenne. Bibliothèque de l’Université de Bologne.

Cette professionnalisation de la médecine est alors loin d’exclure les femmes. Au contraire, l’école de Salerne accueillait parmi ses étudiants de nombreuses étudiantes dont la plus célèbre est Trotula de Salerne, qui vécut au début du XIème siècle et devint par la suite une sommité de la discipline, enseignant à l’université et écrivant des traités de gynécologie tout en soignant des des croisés et de riches patients venus des quatre coins de l’Europe dans le dispensaire attenant à l’école. Outre Trotula de Salerne, de nombreuses autres femmes médecins purent acquérir une renommée égale à celle de leurs confrères masculins, comme par exemple pour la France Magistra Herstrend,  une « physicienne » qui accompagna Louis IX, alias Saint-Louis, lors de la septième croisade en 1249, où elle soigna non seulement le roi mais aussi la reine et les femmes accompagnant l’armée dans l’expédition en Terre Sainte. Elle reçut une pension à vie pour ses services rendus au roi et épousa l’un de ses apothicaires.

Trotula de Salerne ( - 1097).
Trotula de Salerne ( – 1097).

Mais malgré cette professionnalisation, l’exercice du métier n’était pas encore soumis à un certificat ou diplôme spécifique. Cette évolution majeure n’arriva qu’au XIIIème siècle, au moment du développement des universités,  dont l’essor est lié aux développements des villes et qui permettaient de dispenser un enseignement gratuit et régulier pour les jeunes hommes bourgeois (c’est-à-dire à l’époque les habitants des bourgs), dans des matières aussi variées que la philosophie, la théologie, l’astronomie, le droit ou encore la médecine. L’enseignement de ces deux dernières disciplines n’est pas anodin, puisqu’il correspond au besoin croissant de former de véritables spécialistes pour répondre aux besoins des villes en pleine expansion. Ainsi, alors que l’étude de la plupart des disciplines allait jusqu’au magistère, celles de médecine allaient déjà jusqu’au doctorat, correspondant environ à sept années d’études, ce qui témoigne de la prise de conscience précoce du degré de connaissances élevé que requiert ce métier. En France, outre la célèbre université de Montpellier, spécialiste en la discipline, la médecine était également enseignée à  l’université de Paris.

Cours de philosophie à Paris, les Grandes chroniques de France, fin du XIVème siècle, bibliothèque municipale de Castres.
Cours de philosophie à Paris, les Grandes chroniques de France, fin du XIVème siècle, bibliothèque municipale de Castres.

C’est ainsi que peu à peu, l’enseignement de la médecine par le biais des universités s’imposa comme la seule formation valable, et en 1271, l’Université de Paris publia un statut interdisant la prescription de remèdes, et donc de facto l’exercice de la médecine, à ceux qui n’auraient pas reçu de doctorat. La mise en place de ce monopole de la formation universitaire sur la pratique médicale eut pour conséquences bénéfiques d’améliorer considérablement le professionnalisme et la compétence des praticiens, malheureusement, l’université étant réservée exclusivement aux hommes, cela excluait de facto les femmes du métier, et ce quelle que soit leur formation extérieure, désormais non reconnue. Pourtant, encouragées par le fait qu’aucun décret royal n’était encore intervenu pour régir l’exercice de la médecine (ce qui n’arrivera qu’un siècle plus tard en 1390), de nombreuses miresses firent fi des discours de l’université et continuèrent à exercer leur activité à Paris : en 1292 on recensait ainsi 30 mires et 8 miresses dans la capitale.

Félix de Vigne (1806-1862), Une foire à Gand, Moyen-âge, 1862, huile sur toile, musée des beaux-arts de Gand.
Félix de Vigne (1806-1862), Une foire à Gand, Moyen-âge, 1862, huile sur toile, musée des beaux-arts de Gand.

C’est dans ce contexte qu’eut lieu en 1322 le procès de quatre femmes et trois hommes médecins exerçant leur activité sans diplôme universitaire, parmi lesquels l’un des médecins les plus renommés de la capitale : Jacqueline Félicie de Almania,  une praticienne originaire de Florence et connue pour avoir réussi à soigner de nombreux cas de maladies là où ses confrères avaient échoué. L’affaire connut un retentissement important, d’autant plus que l’accusée avait une défense en béton : non seulement 8 témoins, 4 femmes et 4 hommes, vinrent témoigner de ses qualifications et de ses qualités de thérapeute, mais elle fonda sa propre plaidoirie sur l’idée que, les femmes ne pouvant alors pas alors être auscultées nues par un homme et devant se contenter d’être cachée sous un drap et de décrire leurs symptômes, sa condition de femme lui permettait au contraire de le faire et donc d’établir un bien meilleur diagnostic des problèmes gynécologiques. Malheureusement son argumentation ne suffit pas face à l’inflexibilité de ses juges, d’autant plus que rien ne fut entrepris pour évaluer son degré de connaissances théoriques ou pratiques.

Enluminure médiévale représentant une césarienne réalisée par une physicienne.
Enluminure médiévale représentant une césarienne réalisée par une physicienne.

Finalement, au terme du procès, Jacqueline Félicie de Almania se vit interdire l’exercice de la médecine sous peine d’être excommuniée. Cette décision eut un impact énorme au sein des milieux médicaux et, faisant jurisprudence, elle eut pour conséquence d’exclure les femmes de l’exercice de la médecine pendant de nombreux siècles, ces-dernières se cantonnant à des emplois d’infirmières ou de sage-femmes. Ce n’est que bien plus tard, en 1875, que Madeleine Brès deviendra la première Française à obtenir son doctorat de médecine, une avancée considérable quand on sait que les femmes représentent aujourd’hui 46% des médecins généralistes et 50% des médecins spécialisés.

Madeleine Brès (1842-1921)
Madeleine Brès (1842-1921)

Sources :

  1. Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au 21e siècle de Eric Sartori.
  2. « Le médecin et le chirurgien », sur Musée d’histoire de la médecine, Université Paris Descartes
  3. Sethanne HowardThe Hidden Giants, Lulu.com,  

 

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