Les Français pensaient-ils vraiment la ligne Maginot infranchissable?

On entend très souvent dire que la tactique militaire française pendant la Seconde Guerre Mondiale fut loin d’être l’une des plus brillantes qui soit, la France n’anticipant pas un passage des forces allemandes par la Belgique. Pourtant, cette simplification presque caricaturale qui pourrait nous faire croire que les Français avaient naïvement tout misé sur la ligne Maginot laisse une question en suspens: mais quelle était la stratégie de la France pour vaincre l’Allemagne?

Dès 1918, à la fin de la Première Guerre Mondiale, les officiels français réfléchissent déjà à la stratégie à adopter dans le cas d’un nouveau conflit avec l’Allemagne et s’y préparent en tirant un maximum de conclusions du conflit qui vient de s’achever. La guerre de tranchées – qui laisse une partie du pays dévasté – indique que la manière de faire la guerre a changé, que les conflits ne se concentrent désormais plus autour de places fortes et sur de courtes périodes, mais peuvent couvrir un large front où les positions restent stables: c’est la guerre d’attrition, où le gagnant est celui qui tiendra le plus longtemps avec les ressources qu’il possède. C’est dans cette optique que le gouvernement français imagine ce qu’on appelle la guerre de longue durée, où une ligne de défense forte leur permettrait d’épuiser l’adversaire qui utiliserait toutes ses ressources pour attaquer, la France attendant patiemment le moment où ce-dernier capitulerait, le même scénario qui permit aux forces alliées de gagner en 1918.

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Photographie d’André Maginot en 1924. Il donne son nom à la ligne de fortification, bien que l’idée soit antérieure à sa nomination en tant que ministre de la guerre.

Le 28 décembre 1929 sont votés les crédits pour la construction de fortifications le long de la frontière française à l’Est, à l’initiative du ministre de la guerre de l’époque, André Maginot. La forme générale de cette ligne de défense, qui sera très vivement critiquée après la guerre, suit pourtant une tactique très précise en utilisant le relief à son avantage et en anticipant les mouvements de troupes ennemies. Dans les zones où le relief est très accidenté, notamment la frontière luxembourgeoise, une partie de la frontière allemande et la frontière italienne, la France fait construire d’imposantes places fortes équipées d’artillerie, capables de littéralement verrouiller un secteur entier et d’empêcher le passage de quiconque depuis leur position stratégique. Au niveau du Rhin, le système défensif prévoit des structures plus légères, la rivière large de 200 mètres par endroits formant déjà une frontière naturelle difficilement franchissable. Enfin, dans ces zones et jusqu’à la frontière suisse, on renforce les fortifications du système Séré de Rivières construites à la fin du XIXeme siècle.

L’idée qui voudrait que la frontière belge soit laissée sans défense par les français – estimant impossible une attaque par la Belgique comme en 1914 – est complètement fausse : en plus de faire partie intégrante du système de fortification de la ligne Maginot, la frontière avec la Belgique joue un rôle crucial dans la stratégie militaire française. Si son relief relativement plat rend inutile la construction de places fortes, qui n’auraient qu’un rayon d’action très limité en se trouvant en plaine, la frontière belge n’en est pas moins dotée de nombreuses fortifications de campagne, composées de casemates, où est postée l’élite de l’armée française.

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Emblème des unités de la Ligne Maginot, avec la devise du 151eme Régiment d’Infanterie, héritée de la bataille de Verdun: « On ne passe pas »

Pour la France, qui cette fois veut à tout prix éviter une guerre de tranchées sur son territoire, la stratégie employée est simple : en rendant impénétrable la frontière franco-allemande, ils veulent forcer l’ennemi à adopter la même stratégie qu’en 1914 en passant par la Belgique, et à ce moment précis les forces françaises lanceraient une offensive pour prendre position le long des rivières belges et se préparer à une guerre de tranchée. La ligne Maginot le long de la frontière ne constituerait alors qu’une zone de repli dans le cas où la Werhmacht parviendrait à forcer le passage, mais ne fonctionnerait jamais sans l’appui militaire et logistique de l’armée française, au contraire des places fortes le long de la frontière allemande qui elles étaient conçues pour fonctionner en quasi-autonomie. Mais si la stratégie française de guerre de longue durée repose en partie sur le caractère impénétrable de la ligne Maginot, elle repose aussi sur un autre aspect important de la guerre d’attrition : couper les vivres à l’ennemi.

Au début du XXeme siècle, le maintien d’une force armée d’envergure dépend énormément des ressources naturelles disponibles, et si l’Allemagne dispose de charbon en grande quantité pour alimenter ses centrales, elle manque de fer, de pétrole et de nourriture pour le reste des besoins de la Werhmacht. Afin de couper leur approvisionnement en ressources, la France envisage avec la Grande-Bretagne un blocus en mer du Nord, ainsi qu’un contrat d’exclusivité pour l’exportation de pétrole de Roumanie, qui est alors la première réserve d’or noir d’Europe. Le manque de ressources pour faire fonctionner son armée contraindrait le IIIeme Reich à déployer moins de chars, moins d’avions, moins de troupes, et puis finalement à capituler après une guerre de position en Belgique.

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Soldats américains inspectant les fortifications de la ligne Maginot après la Libération en 1944.

Malheureusement pour la France et la Grande-Bretagne, le pacte germano-soviétique de 1939 vient jouer les troubles-fêtes, en offrant à l’Allemagne nazie un moyen de s’approvisionner facilement auprès de son désormais voisin communiste, tout en la mettant à l’abri d’une éventuelle invasion par l’URSS. L’Allemagne tente alors un coup de poker le 10 mai 1940 et se jette volontairement dans le piège tendu par les Français en Belgique, mais plutôt que de déployer ses chars dans l’ouest du pays où le terrain plat se prête bien au combat blindé, elle tente une percée par les Ardennes où le relief accidenté ralentit pourtant la progression des chars. La stratégie allemande est finalement gagnante, puisque les troupes à cet endroit de la ligne Maginot sont prises de court et sont dépassées par l’avancée des Panzers. A ce moment-là, la France aurait pu couper la ligne d’approvisionnement du fer-de-lance allemand en déployant ses propres chars vers le sud, prenant au piège le gros des forces blindés du IIIeme Reich, mais l’armée française avait elle aussi tenté un coup de poker en déployant ses propres chars vers le Nord de la Belgique dans le cadre du plan Dyle, espérant prendre de court l’offensive allemande. Rapidement encerclées, les troupes françaises sont incapables de résister sans approvisionnement, et on organise à la hâte l’évacuation de Dunkerque.

Le gros des forces françaises étant prises au piège en Belgique, la France est incapable de défendre le pays de l’avancée allemande et l’armistice est signé le 22 juin 1940. Plus qu’une confiance aveugle envers les fortifications de la ligne Maginot, c’est l’engagement des troupes françaises au Nord de la Belgique qui fut fatale, créant un vide dans les Ardennes où les allemands n’eurent qu’à s’engouffrer.

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