Quand la tuberculose fascinait les romantiques

Maladie pulmonaire causant une mort lente pouvant durer plusieurs mois et fauchant davantage les femmes que les hommes, souvent en pleine jeunesse, la tuberculose suscita au XIXème siècle une véritable fascination romantique. Mais comment l’expliquer?

La tuberculose se caractérisait par des symptômes proches de ceux du « mal de vivre » ou « spleen », cette langueur dont se réclamaient les romantiques du XIXème siècle, générant désespoir chez les êtres trop passionnés pour survivre au monde. Peu importe le nom qu’on lui donne, cet état mélancolique né de la confrontation malheureuse entre la quête de beauté, les idéaux et les aspirations des individus et une société morne et bourgeoise perçue comme source de désillusions est l’un des éléments caractéristiques du XIXème siècle, né avec les premiers auteurs romantiques comme Chateaubriand et immortalisé dans la poésie de Baudelaire en passant par les écrits d’Alfred de Musset, Balzac ou encore Victor Hugo. La tuberculose faisait écho à cette mélancolie : comme la plupart des maladies pulmonaires, ses symptômes n’étaient pas spectaculaires et induisaient davantage une faiblesse généralisée de l’organisme que des pathologies cliniques visibles. Les tuberculeux étaient en effet reconnaissables à leur état de fatigue, leur fièvre, leur  perte d’appétit et leur faiblesse, qui nécessitaient de s’isoler du monde et étaient perçus comme une prolongation du mal à l’âme dont souffraient les personnes fébriles et passionnées. Comme l’explique le philosophe Georges Gusdorf dans son ouvrage intitulé L’homme romantique, « avec le romantisme, l’atteinte au poumon est considérée comme une maladie de l’âme. La mort des tuberculeux prend ainsi une dimension esthétique. C’est une mort magnifique ». Cette symbolique romantique des maladies pulmonaires persistera d’ailleurs au XXème siècle, incarnée dans la littérature par Chloé et son « nénuphar » dans le poumon dans l’Écume des jours de Boris Vian.

Giovanni Segantini (1858-1899), Pétale de rose, 1889-90, huile sur toile, collection privée.
Giovanni Segantini (1858-1899), Pétale de rose, 1889-90, huile sur toile, collection privée.

Mais, outre son association avec la mélancolie liée à l’état de langueur qu’elle induisait, l’attrait de la tuberculose résidait également dans sa dimension esthétique: loin d’enlaidir les malades, ses manifestations physiques leur conféraient une certaine grâce, considérée comme particulièrement seyante chez les femmes. Une pâleur du teint, un œil brillant et une fragilité lascive qui fascinaient les auteurs romantiques, au point de donner naissance au topos de la « belle malade », fauchée dans la fleur de l’âge à l’instar d’une rose, et qui permit aux écrivains de donner à leurs héroïnes une mort digne d’elle. Tantôt, la tuberculose venait cruellement condamner le caractère passionné et la vie mouvementée d’une jeune femme du monde fauchée en pleine gloire, comme la Marguerite de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, tantôt elle reflétait l’existence tragique d’une jeune femme broyée par la société, comme Fantine dans Les Misérables de Victor Hugo.

Margaret Bernadine Hall (1863–1910), Fantine, 1886, huile sur toile, Walker Art Gallery.
Margaret Bernadine Hall (1863–1910), Fantine, 1886, huile sur toile, Walker Art Gallery.

En réalité, la popularité de la tuberculose reflète plus généralement l’attrait suscité à l’époque par les « alanguies », ces femmes à la santé fragile. On pensait alors que leur faiblesse physique, survenue avant l’âge de la vieillesse, reflétait la pureté de leur cœur et leur noblesse d’âme, les rendant incapables de résister aux pressions du monde, et c’est pourquoi ces femmes étaient considérées comme un idéal romantique.  Ce cliché était entretenu par une réalité physique : le port du corset en société infligeait aux femmes une pression sur la cage thoracique qui leur causaient souvent des « vapeurs », des étourdissements et une faiblesse spontanée. Les auteurs du XIXème siècle ont souvent porté ce cliché de la belle alanguie à l’extrême, mettant en scène des héroïnes à la mort ambiguë, inexplicable autrement que par leur pureté et leur trop grande fragilité, à l’instar d’Henriette de Mortsauf, l’héroïne du Lys dans la vallée de Balzac, femme mariée morte du chagrin d’un amour  inassouvi, ou encore Angélique du Rêve d’Émile Zola,  jeune fille pure souhaitant devenir une sainte et qui se laisse elle aussi mourir dans un élan de vertu sublime.

Hubert-Denis Etcheverry (1867–1950)
Hubert-Denis Etcheverry (1867–1950)

La tuberculose est donc loin d’être une maladie comme les autres en ce XIXème siècle. Elle incarne au contraire le « mal du siècle », ce combat perdu d’avance entre la pureté d’un cœur passionné et cette machine implacable qu’est la société, se soldant par une irrémédiable consomption de l’individu, et elle donne à voir dans l’inconscient collectif une sorte d’équivalent féminin et tragique au spleen des jeunes hommes romantiques. Finalement, la fascination que suscitait cette maladie est révélatrice d’une époque où l’on ne vénérait pas tant le beau, cet équilibre et cette mesure des choses, que le sublime, idéal théorisé par Edmund Burke en 1757, caractérisé par une élévation de l’âme et un sentiment d’écrasement face aux forces du monde, un jaillissement incontrôlable de l’expression du « Moi » à l’issue souvent tragique.

Caspar David Friedrich (1774–1840), Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, vers 1817, huile sur toile, Kunsthalle Hamburg.
Caspar David Friedrich (1774–1840), Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, vers 1817, huile sur toile, Kunsthalle Hamburg.

Ainsi, pour conclure, nous laisserons la parole à Georges Gusdorf : « les romantiques vieillissent mal, et sans doute les romantiques les plus authentiques sont-ils ceux qui ne vieillissent pas. La solution est de mourir jeune. La tuberculose, la consomption, maladie romantique par excellence, propose une issue radicale ; le poète jette son cri, et la maladie même atteste que l’existence, en sa banalité, a quelque chose d’insupportable ».

Partager l'article:
0

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *