Quand on inventa l’omnibus : aux origines de la RATP

Avec 3.6 millions de voyageurs par jour sur les lignes de son réseau, la Régie Autonome des Transports Parisiens est aujourd’hui un élément incontournable de la vie parisienne, indissociable de son métro qui fait partie du patrimoine de la capitale. Mais si ce transport en commun nous semble une évidence à tel point qu’il est difficile d’imaginer Paris sans lui, c’est grâce à un ancêtre emblématique tracté par des chevaux qui lui n’existe plus : l’omnibus.

Si Blaise Pascal avait déjà lancé entre 1662 et 1677 une ligne de carrosses publics destinées aux déplacements de la population urbaine au sein de la capitale, ce projet avait rapidement périclité lorsque sa clientèle aisée plaida pour empêcher  l’accès de ces carrosses aux gens de modeste condition, qu’elle refusait de côtoyer ne serait-ce que le temps d’un déplacement, et obtint gain de cause, menant finalement à la fin de ces lignes qui n’avaient plus grande utilité puisque les plus riches préféraient voyager par calèche privée.  Ce n’est que plusieurs siècles plus tard qu’un projet similaire destinant à proposer des transports publics à un prix abordable sur des trajets réguliers aboutirait, donnant naissance à l’ancêtre de nos transports en commun modernes : l’omnibus.

Anders Zorn (1869-1920), Omnibus I, 1892, huile sur toile, Isabella Gardner Museum.
Anders Zorn (1869-1920), Omnibus I, 1892, huile sur toile, Isabella Gardner Museum.

La vague des transports publics en commun commença au début des années 1820 dans différents pays d’Europe. En Angleterre, John Greenwood ouvrit  en 1824 à Manchester une ligne de transports par calèches circulant trois fois par jour, destinée à une clientèle aisée. Une initiative similaire fut lancée un an plus tard en Prusse par un homme d’affaire appelé Simon Kresmer, permettant de relier Berlin à la ville voisine de Charlottenbourg.

William May Egley (1826-1916), Omnibus life in London, 1859, huile sur toile, Tate.
William May Egley (1826-1916), Omnibus life in London, 1859, huile sur toile, Tate.

Étrangement, c’est à Nantes que l’omnibus parisien trouve son origine, où un homme d’affaire nantais, Stanislas Baudry, démocratise l’idée après l’ouverture en périphérie de la ville d’une minoterie, une usine où l’on fabrique la farine, accolée à un établissement de bains publics réutilisant l’eau chaude produite par les machines à vapeur de sa fabrique. Les bains publics ouverts par Baudry restant peu fréquentés en raison de leur position géographique  trop excentrée par rapport au centre-ville de Nantes, il décide en 1826 d’ouvrir une ligne de voitures hippomobiles – c’est-à-dire tractées par des chevaux – qui transporterait à heures régulières les baigneurs jusqu’à son établissement de manière totalement gratuite.

Alfred Morgan: An Omnibus Ride to Piccadilly Circus, Mr. Gladstone Travelling with Ordinary Passengers, 1885
Alfred Morgan (1836-1924), An Omnibus Ride to Piccadilly Circus, Mr. Gladstone Travelling with Ordinary Passengers, 1885

Néanmoins, Baudry se rendit compte rapidement que ces voitures étaient en réalité utilisées par la population non pas pour fréquenter ses bains mais tout simplement pour effectuer des déplacements, ce qui l’incita à fermer ses établissements et à se lancer dans l’exploitation de ces lignes de transports d’un nouveau genre, voyant là un marché fructueux. On trouva à ce nouveau mode de locomotion un nom, inspiré du latin omni signifiant « pour tous » et résumant ainsi la portée populaire de ce transport en commun : l’omnibus. Une seconde ligne effectuant un trajet cette fois-ci dans la ville de Nantes intra-muros suivit bientôt, et constatant le succès que sa ligne d’omnibus connaissait à Nantes, Stanislas Baudry se décida à exporter son idée dans la capitale parisienne. Après avoir essuyé les refus successifs des autorités, il finit par obtenir en 1828 de la part du préfet de police Debelleyme l’autorisation de mettre en service ses voitures hippomobiles sur les grands boulevards parisiens, suivant des itinéraires fixes et des horaires régulières et à des tarifs abordables. L’entreprise générale des omnibus, nom que Baudry donna à sa compagnie parisienne, est née. Ces voitures fermées pouvaient contenir jusqu’à 16 voyageurs et, chose qui pourrait paraître étrange aujourd’hui alors que les autobus ne s’arrêtent qu’à des arrêts fixes, elles pouvaient être empruntées par les passagers à n’importe quel endroit du parcours pourvu que l’on fasse un signe de main au cocher.

Maurice Delondre, Dans l'omnibus, vers 1885, huile sur toile, musée Carnavalet.
Maurice Delondre, Dans l’omnibus, vers 1885, huile sur toile, musée Carnavalet.

L’initiative de Baudry devient très vite prisée de la population parisienne, qui devint plus de 2 millions à emprunter ces voitures hippomobiles entre avril et octobre 1828, si bien que le concept est bientôt imité par tout un tas d’autres compagnies qui se multiplient et créent leurs propres convois hippomobiles sous des noms aussi évocateurs que les Algériennes, les Batignollaises ou encore les Hirondelles.  A la fin de l’année 1829, elles sont plus d’une dizaine à faire circuler quotidiennement 221 voitures dans la capitale. Malheureusement, la concurrence acharnée que se livrent les différentes compagnies d’omnibus et un hiver 1829 particulièrement rude qui causa la mort de nombreux chevaux eut raison des comptes de Stanislas Baudry qui, endetté, se suicide en 1830.

Edmond Grandjean (1844-1908), Un arrêt de voitures place Clichy, 1882, huile sur toile,Dixon Gallery and Garden.
Edmond Grandjean (1844-1908), Un arrêt de voitures place Clichy, 1882, huile sur toile,Dixon Gallery and Garden.

Finalement, lorsque sous le Second Empire, le baron Haussmann entreprend de moderniser la capitale, les compagnies d’omnibus se retrouvent elles aussi au coeur de son projet d’envergure. Afin d’éviter les effets néfastes de la concurrence qu’elles se livrent, les lignes empruntant parfois les mêmes trajets, il les fait fusionner sous une seule et unique compagnie à laquelle il confie le monopole de ce transport public, la Compagnie générale des omnibus (CGO) créée en 1854.  Dès 1856, la compagnie réorganise les transports au sein de Paris et créé 25 lignes, chacune correspondant à une lettre de l’alphabet et effectuant un trajet spécifique afin de ne pas limiter la desserte aux quartiers centraux, ces lignes étant par la suite complétées par des nouvelles au gré des agrandissements successifs de la capitale. En 1860, la CGO fait ainsi circuler 503 voitures au sein de la capitale, et le marché des omnibus connait un véritable essor qui durera près de 30 ans. Pour concurrencer les tramways, des voitures hippomobiles sur rails présentes à Paris depuis 1873, dont elle exploite également un certain nombre de lignes, la CGO ne cesse de renouveler son offre, notamment grâce au développement des voitures à impériale à étage, dont la montée s’effectuait par un petit escalier situé sur le côté et qui permettaient de faire circuler plus de voyageurs.

Henry Bacon (1839–1912), Egalité, vers 1889, huile sur toile, Brooklyn Museum.
Henry Bacon (1839–1912), Egalité, vers 1889, huile sur toile, Brooklyn Museum.

Finalement, ce ne sont pas les tramways mais, d’une façon plus générale, le développement des moyens de transport à vapeur et à moteur qui rendit les omnibus et le transport hippomobile obsolète. En 1900, la première ligne de métro parisien est mise en service, rapidement suivie par la mise en place d’un réseau plus vaste sous la direction de l’ingénieur breton Fulgence Bienvenüe et, en 1906, c’est au tour de la première ligne de véhicules motorisée d’être lancée à Paris entre Montmartre et Saint-Germain-des-Prés, ces véhicules appelés autobus remplaçant peu à peu les omnibus. Dès 1912, la CGO se consacre à l’électrification de son réseau de tramways, sonnant le glas des omnibus hippomobiles, et l’omnibus parisien effectuera son dernier trajet le 11 janvier 1913. En 1921, la Compagnie Générale des Omnibus rejoint la nouvelle Société des Transports en Communs de la Région Parisienne (STCRP), qui deviendra le 1er janvier 1949 la Régie Autonome des Transports Parisiens, la RATP que nous connaissons si bien aujourd’hui.

George W. Joy (1844–1925), The Bayswater Omnibus, 1895, huile sur toile, Museum of London.
George W. Joy (1844–1925), The Bayswater Omnibus, 1895, huile sur toile, Museum of London.

Sources :

Nicholas Papayanis, « Les transports à Paris avant le métropolitain », Métro-cité : Le chemin de fer métropolitain à la conquête de Paris (1871-1945)

Petite histoire de l’omnibus [archive], Le Monde illustré du 22 février 1936, p.162 à 164 (avec photos), article de Philippe Bernard

 

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