La ville la plus dense sur Terre: la citadelle de Kowloon

Le 23 mars 1993, les autorités chinoises lancent la démolition de la Citadelle de Kowloon. Durant près de 40 ans, cette petite enclave chinoise à peine plus vaste que deux stades de foot au milieu de Hong Kong a été l’espace urbanisé avec la densité de population la plus élevée sur Terre: 1.9 millions d’habitants au kilomètre carré. Si Paris avait la même densité que Kowloon, on pourrait y loger toute la population du Brésil… Retour sur une incroyable épopée architecturale et humaine.
Avant de devenir une ville dans la ville, la citadelle de Kowloon n’est qu’un poste d’observation converti en forteresse au XIXeme siècle pour surveiller la baie d’un des plus importants ports d’Asie, Hong Kong, d’éventuelles attaques de pirates. Lors de la signature du traité de Nankin en 1842, cédant l’île de Hong Kong aux britanniques, le fort est exclu de ces accords et reste sous domination chinoise, avant de contrebalancer l’influence européenne dans la région. A la suite d’une seconde convention, signée par les autorités britanniques et chinoises en 1898, la couronne d’Angleterre obtient un bail de 99 ans leur donnant le contrôle sur ce qui est aujourd’hui la Région administrative spéciale de Hong Kong, à l’exception une nouvelle fois de la petite parcelle sur laquelle se trouve la Citadelle de Kowloon. C’est ainsi que cet espace de 2.6 hectares, à peine deux fois la superficie du Stade de France, obtint un statut particulier qui forgera sa destinée: la forteresse serait chinoise de facto, tant qu’elle ne poserait aucun problème pour la Hong Kong britannique…
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La Citadelle de Kowloon en 1898, dans son aspect primitif de forteresse où réside le mandarin chargé de l’administration de la région.

La Citadelle est encore à l’époque une forteresse, elle conserve ses murs d’enceinte et une apparence militaire, mais déjà au début du XXeme siècle, une population civile s’y installe et de nombreux squatteurs prennent possession des lieux. Sur les cartes britanniques, on désigne cette partie de Hong Kong comme une pittoresque « ville chinoise », qui fait le bonheur des touristes découvrant la région, bien que les autorités et l’Eglise protestante y fassent installer un hospice ainsi qu’une école. L’histoire de la Citadelle de Kowloon n’est bouleversée véritablement qu’après la Secodne Guerre Mondiale: durant l’occupation japonaise de la Chine, les occupants démolissent les murs d’enceinte pour faire construire l’aéroport de Kai Tak tout proche, et lorsqu’ils partent à la fin de la guerre, la citadelle est laissée à l’abandon.

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Vue aérienne de la Citadelle de Kowloon en 1973. A l’époque, il n’y a encore que très peu de hauts immeubles, la cité ne forme encore pas un bloc compact d’habitations. Source photographique: Ian Lambot, Wikimedia, CC BY-SA 4.0

A cause de la guerre, des milliers de réfugiés affluent en masse de Guangdong, et une partie d’entre eux ce réfugient dans cette zone de non-droit, toujours exclue des possessions britanniques en raison du traité de Nankin. Ce statut particulier permet aussi à des squatteurs et au crime organisé de s’y installer, profitant pour y mener diverses activités illégales comme le trafic de drogue, la prostitution ou même l’établissement de cabinets dentaires non déclarés. Jusqu’en 1973, les autorités chinoises comme britanniques ne parviennent pas à déloger tout ce monde, les deux gouvernements se rejetant la responsabilité de ce chaos, mais ils mènent finalement des raids pour y déloger des membres des triades, syndicats du crime organisé en Chine, et aident à faire baisser la criminalité au sein de la Citadelle pour qu’elle devienne la propriété de ses habitants. La population connait alors un bond significatif, et même si le quartier reste une zone de non-droit où la police ne pénètre que lorsque c’est vraiment nécessaire (et par centaines), l’ordre et le calme semblent enfin y être revenus… du moins pour les habitants.

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Vue aérienne sur la Citadelle de Kowloon en 1989. Source photographique: Ian Lambot, Wikimedia, CC BY-SA 4.0.

La fin des triades ayant entrainé un véritable boom démographique, la citadelle s’agrandit de manière exponentielle: on empile les constructions les unes sur les autres, dans une totale anarchie, formant un ensemble comparable à une fourmilière où vivent désormais 50000 personnes. Seules deux règles sont alors établies par les autorités britanniques et chinoises pour le développement de la citadelle: les bâtiments ne doivent pas dépasser 14 étages pour ne pas gêner les avions approchant l’aéroport de Kai Tak, et tous les logements doivent être raccordés à l’électricité. Bien que construit sans architecte, cet amas d’immeubles avait pourtant la particularité de former une structure logique et cohérente, avec des couloirs certes labyrinthiques mais permettant d’évoluer sur plusieurs niveaux, de l’extérieur de la cité où des commerces à la limite de la légalité florissaient, à l’intérieur où la lumière du jour peinait à pénétrer jusqu’aux appartements les plus bas.

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Vue nocturne sur la Citadelle depuis une rue adjacente. On y voit de nombreux magasins et cabinets dentaires au rez-de-chaussée. Source: Ian Lambot, Wikimedia, CC BY-SA 4.0.

Les habitants y avaient développé un rythme et des habitudes de vie totalement décalés du reste du monde, utilisant des lumières fluorescentes pour s’éclairer, partageant leur repas avec leur voisin dans des salons aménagés, ou traversant les couloirs avec un parapluie pour éviter les fuites de canalisation. On y faisait l’école dans de petites chambres, et les enfants jouaient sur le toit où se trouvaient des jardins aménagés, à l’ombre des avions atterrissant à Kai Tak. Seul le Yamen – maison officielle du mandarin – fut préservé de cette frénésie architecturale, mais le reste des bâtiments vivait au rythme des améliorations, extensions, destructions, reconstructions… Bien que le crime et la réputation sordide du lieu n’aient jamais vraiment disparus de Kowloon, puisque le lieu a gardé maisons closes, salons d’opium, casinos, restaurants servant de la viande de chien ou usines clandestines, le microcosme que la citadelle formait fit que, lorsque les autorités chinoises et britanniques décidèrent finalement de la démolir, les résidents s’organisèrent pour protester mais ne furent pas entendus.

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Vue d’un couloir dans la citadelle. Les fuites de canalisation étant nombreuse, les habitants se déplaçaient munis d’un parapluie. Crédit photofraphique: Ian Lambot, Wikimedia, CC BY-SA 4.0

Avant sa démolition, une équipe d’explorateurs japonais a parcouru la citadelle durant près d’une semaine pour la cartographier et garder une trace de ce qui restera un des plus importants exemples d’architecture anarchique au monde. Le gouvernement chinois a depuis effacé toute trace de ce passé sulfureux, et la petite parcelle de Kowloon n’abrite désormais plus qu’un parc.

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