La ville la plus dense sur Terre: la citadelle de Kowloon

La Citadelle est encore à l’époque une forteresse, elle conserve ses murs d’enceinte et une apparence militaire, mais déjà au début du XXeme siècle, une population civile s’y installe et de nombreux squatteurs prennent possession des lieux. Sur les cartes britanniques, on désigne cette partie de Hong Kong comme une pittoresque « ville chinoise », qui fait le bonheur des touristes découvrant la région, bien que les autorités et l’Eglise protestante y fassent installer un hospice ainsi qu’une école. L’histoire de la Citadelle de Kowloon n’est bouleversée véritablement qu’après la Secodne Guerre Mondiale: durant l’occupation japonaise de la Chine, les occupants démolissent les murs d’enceinte pour faire construire l’aéroport de Kai Tak tout proche, et lorsqu’ils partent à la fin de la guerre, la citadelle est laissée à l’abandon.

A cause de la guerre, des milliers de réfugiés affluent en masse de Guangdong, et une partie d’entre eux ce réfugient dans cette zone de non-droit, toujours exclue des possessions britanniques en raison du traité de Nankin. Ce statut particulier permet aussi à des squatteurs et au crime organisé de s’y installer, profitant pour y mener diverses activités illégales comme le trafic de drogue, la prostitution ou même l’établissement de cabinets dentaires non déclarés. Jusqu’en 1973, les autorités chinoises comme britanniques ne parviennent pas à déloger tout ce monde, les deux gouvernements se rejetant la responsabilité de ce chaos, mais ils mènent finalement des raids pour y déloger des membres des triades, syndicats du crime organisé en Chine, et aident à faire baisser la criminalité au sein de la Citadelle pour qu’elle devienne la propriété de ses habitants. La population connait alors un bond significatif, et même si le quartier reste une zone de non-droit où la police ne pénètre que lorsque c’est vraiment nécessaire (et par centaines), l’ordre et le calme semblent enfin y être revenus… du moins pour les habitants.

La fin des triades ayant entrainé un véritable boom démographique, la citadelle s’agrandit de manière exponentielle: on empile les constructions les unes sur les autres, dans une totale anarchie, formant un ensemble comparable à une fourmilière où vivent désormais 50000 personnes. Seules deux règles sont alors établies par les autorités britanniques et chinoises pour le développement de la citadelle: les bâtiments ne doivent pas dépasser 14 étages pour ne pas gêner les avions approchant l’aéroport de Kai Tak, et tous les logements doivent être raccordés à l’électricité. Bien que construit sans architecte, cet amas d’immeubles avait pourtant la particularité de former une structure logique et cohérente, avec des couloirs certes labyrinthiques mais permettant d’évoluer sur plusieurs niveaux, de l’extérieur de la cité où des commerces à la limite de la légalité florissaient, à l’intérieur où la lumière du jour peinait à pénétrer jusqu’aux appartements les plus bas.

Les habitants y avaient développé un rythme et des habitudes de vie totalement décalés du reste du monde, utilisant des lumières fluorescentes pour s’éclairer, partageant leur repas avec leur voisin dans des salons aménagés, ou traversant les couloirs avec un parapluie pour éviter les fuites de canalisation. On y faisait l’école dans de petites chambres, et les enfants jouaient sur le toit où se trouvaient des jardins aménagés, à l’ombre des avions atterrissant à Kai Tak. Seul le Yamen – maison officielle du mandarin – fut préservé de cette frénésie architecturale, mais le reste des bâtiments vivait au rythme des améliorations, extensions, destructions, reconstructions… Bien que le crime et la réputation sordide du lieu n’aient jamais vraiment disparus de Kowloon, puisque le lieu a gardé maisons closes, salons d’opium, casinos, restaurants servant de la viande de chien ou usines clandestines, le microcosme que la citadelle formait fit que, lorsque les autorités chinoises et britanniques décidèrent finalement de la démolir, les résidents s’organisèrent pour protester mais ne furent pas entendus.

Avant sa démolition, une équipe d’explorateurs japonais a parcouru la citadelle durant près d’une semaine pour la cartographier et garder une trace de ce qui restera un des plus importants exemples d’architecture anarchique au monde. Le gouvernement chinois a depuis effacé toute trace de ce passé sulfureux, et la petite parcelle de Kowloon n’abrite désormais plus qu’un parc.