Quand le cirque moderne est né
De nos jours, le cirque est un spectacle très populaire auprès des petits comme des grands, connu pour les éléments traditionnels qui font son succès : voltige, acrobatie, chapiteau,clowns… Mais comment et quand le cirque moderne a-t-il été inventé?
Philipp Astley et la naissance du cirque moderne
Le cirque fait son apparition dans l’Antiquité, sous l’Empire romain où il dessert la fonction de diverissement du peuple alors considérée comme indispensable (comme le montre la devise « panem et circus« , du pain et des jeux). Les jeux du cirque ont alors lieu dans des amphithéâtres en plein air, comme par exemple le Circus Maximus à Rome, édifié au VIème siècle avant J-C., et sont composés de courses de chars, de combats contre les fauves ou bien encore de numéros de voltige. La tradition du cirque disparaîtra ensuite avec la chute de l’Empire romain, et le Moyen-âge est rythmé par les foires où les saltimbanques se produisent de manière itinérante.
Ce n’est que bien plus tard, au XVIIIème siècle, que naîtront les premiers cirques modernes. Bien que plusieurs spectacles de ce type se développèrent au cours de la même période, on attribue la paternité du cirque moderne à un cavalier britannique, Philipp Astley, qui en 1768 loua un grand champ près de Londres afin d’y présenter ses spectacles composés de figures et de dressage équestre. Très vite, apparaît dans ses spectacles la figure du clown, qui ne ressemblait alors pas du tout à l’Auguste que nous avons en tête de nos jours, puisqu’il s’agissait à l’origine de garçons de fermes ne sachant pas monter à cheval engagés pour entrecouper les spectacles équestres de numéros comiques où ils jouaient les benêts. A partir de 1774, Astley produisit ses spectacles en France, et il créa le premier cirque permanent en 1782 dans l’amphithéâtre du faubourg du Temple, qui fut par la suite rebaptisé Cirque Olympique par son successeur, Antonio Franconi. La famille Franconi créa trois cirques Olympiques à Paris durant la première moitié du XIXème siècle; ils furent également à l’origine de l’apparition du dressage dans les cirques, grâce au numéro Les lions de Mysore représenté dans le 3ème cirque olympique à partir de 1831, pour lequel ils firent appel au dresseur Henri Martin, considéré avec ses fauves comme le père du dressage moderne.

Dejean et l’essor du cirque en France
Mais c’est le successeur de Franconi à la tête du Cirque Olympique, Louis Dejean, qui fut véritablement à l’origine de la popularisation du cirque en Europe. Il perfectionna ces spectacles en y intégrant des numéros de forains et d’acrobates et consacra la configuration moderne du cirque, fait d’une seule piste circulaire alors qu’ils étaient auparavant constitués d’une piste et d’une scène. Les tournées de Dejean en Angleterre et en Allemagne contribuèrent au rayonnement du cirque français en Europe, tandis qu’en France, il offrit également à ses spectacles des édifices dédiés qui devaient par leur prestige architectural consacrer l’attrait exercé par ce nouveau divertissement. Le Second Empire voit naître le cirque d’Été, inauguré en 1851 et également appelé cirque de l’Impératrice, puis un an plus tard en 1852 le cirque Napoléon, qui prendra le nom de cirque d’Hiver à partir de 1873. Ces deux cirques permanents sont construits sur les plans de l’architecte Jacques Hittorff, qui fut aussi l’architecte de la gare du Nord inaugurée en 1865. Ces deux salles, richement décorées avec les bas-reliefs et les fresques d’artistes de renom, comme le sculpteur James Pradier, furent très fréquentées du Paris mondain pendant et après le Second Empire, accueillant aussi bien des spectacles de cirque que des concerts de musique classique grâce à leur structure en rotonde qui permet une excellente acoustique. L’acrobatie prend dans ces deux établissements une place de plus en plus importante, avec par exemple l’invention du trapèze volant par le gymnaste Jules Léotard dans ses représentations au cirque d’Hiver en 1859.

La Belle-Epoque, âge d’or des cirques en dur
Ces deux établissements possédèrent le monopole du cirque dans la capitale française pendant plusieurs années, mais les choses changèrent avec la loi de 1865 sur la liberté des théâtres, promulguée dans le sillage du mouvement de libéralisation du régime voulu par Napoléon III et qui permit l’apparition d’autres salles spécifiques. Les deux plus célèbres d’entre elles sont le cirque Fernando fondé en 1873, célèbre pour ses numéros d’acrobates, et le Nouveau Cirque créé en 1886 par Joseph Oller, qui créait l’attraction avec sa piste pouvant se transformer en piscine pour des pantomimes nautiques. A cette époque, le cirque apparait comme l’un de ces nouveaux types de spectacles qui mêlent acrobaties, pantomimes et numéros insolites, et les frontières entre cirques, music-halls et café-concerts sont parfois minces. C’est d’ailleurs Joseph Oller, le fondateur du Nouveau cirque, qui créera le Moulin-Rouge en 1889. La Belle-époque apparaît ainsi comme une époque faste pour les cirques permanents, qui, à l’instar des très nombreux lieux de spectacles parisiens, inspirent de nombreux artistes comme James Tissot, Henri de Toulouse-Lautrec, ou bien encore Georges Seurat. En province, l’essor des cirques en dur se fait grâce à Théodore Rancy, qui créé une série d’établissements dédiés à ce type de spectacle dans différentes villes comme Le Havre (1887) , Rouen (1893), Lyon (1882) ou encore Amiens (1889).

L’apparition du clown moderne
Mais la Belle-Epoque voit aussi se fixer les ingrédients qui feront le succès du cirque moderne. Aux numéros équestres inventés par Astley, au dressage amené par les frères Franconi et aux acrobaties popularisées par Dejean vient s’ajouter la figure moderne du clown. En effet, en 1865 est également levée l’interdiction de parler sur une piste de cirque, ce qui permet de multiplier les possibilités comiques des numéros de clowns. Peu à peu, les clowns parleurs remplacent les pantomimes et les premiers duos de clowns apparaissent. Parmi les plus célèbres d’entre eux on peut citer le duo formé par Foottit et Chocolat qui fait les beaux jours du Nouveau Cirque à partir de 1895, et dont l’histoire a été racontée par l’historien Gérard Noiriel puis transposée au cinéma par Roschdy Zem en 2016. Quant aux prototypes de clowns que nous connaissons aujourd’hui, nous les devons d’une part au britannique Joseph Grimaldi qui s’inspira de la commedia dell’arte pour créer son personnage de clown blanc, le clown Joey, au début du XIXème siècle, et d’autre part à l’homme de spectacle berlinois Ernest Renz qui inventa l’Auguste au nez rouge en 1876. Ce duo comique, entre le clown blanc sérieux et l’Auguste pitre persécuté connaît alors un grand succès qui subsiste encore aujourd’hui.

Un nouveau-modèle : les cirques-ménageries
Peu à peu, la fin du XIXème siècle voit apparaître dans les cirques la ménagerie d’animaux sauvages, jusqu’alors réservée aux forains. Ce type de numéro prend d’autant plus d’importance que le public manifeste une certaine lassitude pour les numéros équestres et que la mode est à l’exotisme, favorisée par les colonisations qui font connaître des populations venues de contrées lointaines et aux mœurs étrangères, comme en témoignent les exhibitions ethnologiques organisées à Paris à partir de 1847. L’idée est alors de montrer dans les cirques des bêtes méconnues qui vont susciter la curiosité ou la frayeur du public comme les ours, les fauves ou les singes.

Le déclin des cirques stables et l’hégémonie des cirques ambulants
C’est au tournant du XXème siècle que le cirque stable perd de son importance, concurrencé par les music-halls et autres salles de spectacle comme Le Moulin rouge (1889), ou encore Les folies bergères (1869). Après avoir été une attraction parisienne incontournable, le cirque d’Été tombera peu à peu en désuétude après l’Exposition universelle de 1889 et sera finalement détruit en 1900; en revanche, le cirque d’Hiver subsiste bel et bien encore aujourd’hui, et peut même se vanter d’être le plus ancien cirque stable au monde, géré par la famille Bouglione depuis 1934. Le cirque stable est remplacé par les cirques sous chapiteaux, apparus dès les années 1830 mais qui deviennent à cette époque la forme dominante de cirque, facilitée par l’essor des nouveaux moyens de transports plus rapides qui permettent des tournées plus longues et des destinations plus lointaines. Les cirques ambulants, comme le cirque Pinder fondé en 1854, ou bien encore le Wild West Show de Buffalo Bill qui effectua une tournée en Europe en 1889 et en 1905, deviennent les plus plébiscités. Néanmoins, c’est véritablement après la Première Guerre mondiale et ses nombreuses destructions de bâtiments que les cirques ambulants supplantent les cirques en dur, et certains d’entre eux se reconvertissent, à l’image du cirque Roche qui devient itinérant en 1920. Les cirques itinérants connaîtront un beau succès au cours du XXème siècle, jusqu’à se voir fragilisés par la crise économique des années 1970. Aujourd’hui, le modèle traditionnel du cirque fait l’objet de profondes remises en question, notamment sur la question de l’éthique animale, et de nouvelles formes de cirques plus innovantes ont fait leur apparition.