Avalon, l’île des morts des légendes arthuriennes

« Ressaisis-toi, dit-il à Bedivere, et fait comme tu l’entends, car est venu le temps que dans l’île d’Avalon j’aille panser mes lourdes plaies : et si tu ne devais plus jamais entendre parler de moi, prie pour mon âme. »

Ainsi s’exprimait le roi de Camelot au moment de quitter le monde des hommes vers son lieu de repos mythique. Bien qu’étant un élément relativement méconnu du légendaire arthurien, l’île d’Avalon a fait l’objet de nombreux mythes et de recherches, au même titre que le Saint Graal qui suscite encore aujourd’hui l’engouement de chercheurs. Retour aujourd’hui sur l’histoire de cette île et de ses mystères…

Mentionnée pour la première fois par l’écrivain anglais Geoffroy de Montmouth dans son Histoire des rois de Bretagne vers 1135, Avalon est présentée dans un certain nombre de légendes arthuriennes comme l’île mythique de l’Autre monde, où vivent la fée Morgane et ses huit sœurs magiciennes. D’après le récit de Montmouth, qui constitue la première source sur les légendes arthuriennes, et dans un certain nombre de récits suivants comme ceux de Chrétien de Troyes ou le Morte d’Arthur de Thomas Malory paru au XVème siècle, c’est à Avalon que le roi Arthur est conduit en barque par trois prêtresses après avoir été mortellement blessé à la bataille de Camlann par son fils incestueux, le chevalier félon Mordred. L’île ne doit pas servir d’ultime demeure au roi mythique, mais être simplement l’endroit où il reposera en attendant son retour parmi les Hommes. Enfin, Geoffroy de Montmouth fait aussi d’Avalon le lieu où fut forgé Excalibur, l’épée mythique du roi Arthur qui lui fut donnée par la dame du Lac.

James Archer (1823 – 1904), La mort d'Arthur, huile sur toile.
James Archer (1823 – 1904), La mort d’Arthur, huile sur toile.

Concernant l’apparence de cet endroit céleste, Avalon est décrite comme une île mystique, semblable à un rêve mais où on peut agir consciemment et influer sur le monde, au centre de laquelle se dresse un mont constamment couronné de brumes servant à la dissimuler au regard. Seuls quelques privilégiés y ont accès, et l’île constitue d’ailleurs le dernier refuge de la tradition celtique : ainsi, au fur et à mesure que cette tradition disparaît, Avalon s’efface aux yeux du monde, pour disparaître complètement du regard des Hommes lorsque Galahad retrouve le Saint-Graal, marquant symboliquement la victoire de la chrétienté sur le paganisme celtique. On peut accéder à Avalon par deux moyens : avec une barque qu’il faut savoir invoquer ainsi que son équipage, ou bien par un labyrinthe marécageux dont l’emplacement est inconnu. Une fois sur place, le visiteur découvrira une île à la végétation luxuriante, où le temps ne s’écoule pas, où les pluies sont toujours douces et les tempêtes radieuses, et sur laquelle on peut trouver, parmi les nombreuses vignes et les vergers toujours fleuris, de magnifiques pommiers dont les fruits sont un gage d’immortalité (Avalon signifie d’ailleurs « l’île des pommes » dans sa racine celtique, et Geoffroy de Monmouth la nomme Insula Pomorum). Cette description n’est d’ailleurs pas sans rappeler d’autres lieux clos et cachés aux Hommes où poussent des pommes, tel que le jardin des Hespérides et ses pommes d’or, ou même l’Éden biblique.

Frank William Warwick Topham (1838 - 1929), Le voyage du roi Arthur et de la fée Morgane vers l'île d'Avalon, 1888, huile sur toile.
Frank William Warwick Topham (1838 – 1929), Le voyage du roi Arthur et de la fée Morgane vers l’île d’Avalon, 1888, huile sur toile.

Avalon aurait pu demeurer un lieu légendaire et pour toujours inaccessible, sans compter sur l’infatigable besoin des Hommes de découvrir les origines et la véracité des mythes pour les faire correspondre avec les éléments de la réalité… Dès la fin du XIème siècle, un lieu fut désigné comme étant le site probable d’Avalon : le Tor (c’est-à-dire le mont rocheux) de Glastonbury, dans le comté de Somerset, près du Pays de Galles, cette ville étant par ailleurs l’un des premiers établissements chrétiens d’Angleterre. D’après l’ecclésiaste Giraud de Barri, en 1191, des moines de l’abbaye de Glastonbury trouvèrent à cet emplacement deux sépultures correspondant à celle du roi Arthur et de son épouse Guenièvre, et portant une inscription latine que l’on pourrait traduire par : « Ci-gît le roi Arthur sur l’île d’Avalon« .

Edward Burnes-Jones (1833-1898), La dormition d'Arthur à Avalon, 1881-1898, Museo de Arte de Ponce.
Edward Burnes-Jones (1833-1898), La dormition d’Arthur à Avalon, 1881-1898, Museo de Arte de Ponce.

Mais cette découverte semble en réalité loin d’être fortuite… Elle s’inscrit en effet dans une période où les souverains Plantagenêts, Henri II puis son fils Richard Cœur de Lion qui lui succède en 1189, cherchent à mettre en avant le mythe arthurien pour se présenter comme les descendants de l’illustre roi-chevalier et ainsi asseoir leur légitimité à régner sur la Grande-Bretagne. Il est en fait fort probable que cette trouvaille soit instiguée par Richard Cœur de Lion, d’autant plus que l’abbaye de Glastonbury était alors l’une des plus puissante du pays, étroitement liée à la couronne, et que ravagée par un incendie en 1184, elle chercha dans les années qui suivirent à collecter des fonds afin de financer les travaux de reconstruction. Par ailleurs, Richard Cœur de Lion, qui se présente comme un modèle de roi-chevalier à l’instar d’Arthur, prétendait posséder la célèbre épée Excalibur du roi de Camelot, que le duc de Normandie aurait offerte à son grand-père Geoffroy Plantagenêt. Ces ossements, dont rien ne permettait évidemment à l’époque de déterminer s’il s’agissait oui ou non de ceux d’un roi ayant vécu au VIème siècle comme le veut la légende du roi Arthur (dont l’existence historique n’a par ailleurs jamais été prouvée), attirèrent en tous cas de nombreux visiteurs curieux à l’abbaye de Glastonbury, contribuant à accroître sa renommée, ses revenus, et à en faire la deuxième plus puissante du pays après Westminster.  Ils acquirent même une telle importance aux yeux des visiteurs que le roi Edouard Ier décida en 1278 de les mettre en valeur en les transférant dans une tombe de marbre noir située au pied de l’autel du sanctuaire,  lors d’une grande cérémonie à laquelle il assista en compagnie de son épouse Éléonore. Les ossements demeurèrent plusieurs siècles dans l’abbaye qu’ils avaient contribué à rendre célèbre, jusqu’à la destruction de celle-ci sous le règne du roi Henri VIII en 1536, au moment où le souverain se proclame chef de l’église anglicane, dissout toutes les abbayes et pourchasse les moines et les nonnes.

Les ruines de l'abbaye de Glastonbury vues du Sud-Ouest. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photographiques : NotFromUtrecht.
Les ruines de l’abbaye de Glastonbury vues du Sud-Ouest. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photographiques : NotFromUtrecht.

Toutefois, le mythe d’Avalon n’est pas le seul qui relie le mystérieux site de Glastonbury aux légendes arthuriennes. En effet, une autre légende affirme que c’est ici que Joseph d’Arimathie aurait rapporté la Lance ayant percé le flanc du Christ lors de la Passion, ainsi que le Saint-Graal, la coupe ayant servi lors de la Cène, dernier repas de Jésus-Christ et ses disciples, et qui aurait recueilli son sang au moment de la Crucifixion. A son arrivée à Glastonbury, Joseph d’Arimathie, éreinté de fatigue, aurait planté la lance dans le sol et une source en aurait jailli, à laquelle le sang présent sur la relique sacrée donna une couleur rougeâtre, et que l’on nomma alors Chalice Well, c’est-à-dire la source du calice. Cette source est celle qui irrigue aujourd’hui les jardins du Chalice Well and Source, mais si les fontaines du jardin possèdent effectivement une eau à l’étonnante couleur rougeâtre, ce n’est pas tant à cause du sang que tout simplement à cause de leur richesse en oxyde de fer!

La source de Chalice Well. Licence Creative Commons. Crédits photographiques : SP Smiler.
La source de Chalice Well.

Ainsi, s’il semble bel et bien que l’île d’Avalon soit sortie tout droit de l’imagination de ses auteurs, et s’il ne reste aujourd’hui de l’abbaye de Glastonbury que des ruines, cette histoire illustre la relation étroite qui existait au Moyen-âge entre les mythes arthuriens, la construction de la royauté en Angleterre et le rayonnement de l’Eglise catholique. Les légendes arthuriennes ont en effet surtout servi un but politique et religieux en Angleterre, celui d’asseoir l’influence de la royauté et de l’Église, à une époque où celles-ci ne pouvaient se passer l’une de l’autre. Le sort des mythes arthuriens est bien différent en France où, popularisés par Chrétien de Troyes, ils ont surtout servi au développement d’une littérature courtoise et raffinée, irriguée à la fois par des valeurs religieuses et des idéaux chevaleresques et qui se diffusa dans les cours du royaume à partir de la fin du XIIème siècle. Quoiqu’il en soit, le site de Glastonbury continue, par la beauté mystérieuse et céleste qu’il dégage, de fasciner les foules et d’attirer chaque année des milliers de visiteurs. Ultime hommage à l’importance de ce site dans la culture anglaise, depuis 1970, un célèbre festival de musique s’y tient tous les ans au mois de juin.

Vue du Tor de Glastonbury. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photographiques : R Potticary.
Vue du Tor de Glastonbury. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photographiques : R Potticary.
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