L’histoire des bains en France : le thermalisme

Avec le retour des vacances et du soleil, nous rêvons déjà tous de partir sur les plages… Difficile d’imaginer un endroit plus prisé que les stations balnéaires pour prendre ses vacances aujourd’hui, pourtant il fut une époque où la destination préférée des Français se trouvait au creux de vallées bordées de montagne, dans les immenses stations thermales et leur riche patrimoine, auréolées du faste des grandes fêtes impériales. Retour aujourd’hui sur l’histoire du thermalisme en France, en espérant que cet article vous donne envie d’aller prendre un petit bain dans des sources thermales!

L’histoire du thermalisme – en tant qu’activité liée à l’utilisation des eaux thermales à des fins récréatives ou de santé – commence en Europe il y a plus de deux millénaires, dans la société antique grecque et surtout romaine. Si les stations thermales que nous connaissons aujourd’hui trouvent effectivement leurs origines dans l’Antiquité, ce mot désignait pourtant à cette époque une réalité bien différente. En effet, les thermes romains étaient des bains publics utilisant non pas une eau de source réputée pour ses bienfaits, mais une eau normale quelconque, sans propriétés particulières, et ils constituaient à la fois un lieu d’hygiène, de sociabilité et de culture au cœur des villes, abritant bibliothèques, gymnases, ou même piscines olympiques, formant des établissements dédiés à la fois au bien-être du corps mais aussi celui de l’esprit. Parallèlement à cela, il existait un certain nombre de fontaines sacrées notamment dans le monde grec, que l’on pensait être les lieux de refuge d’une divinité majeure ou mineure, et dont les eaux, jaillissant directement de terre, suscitaient la fascination pour leurs caractéristiques étonnantes : eau ferrugineuse donc de couleur ocre, eau bouillonnante, eau exceptionnellement chaude ou froide… On peut penser par exemple à la célèbre fontaine de Barenton réputée pour son eau bouillonnante et que les auteurs médiévaux situèrent plus tard dans la forêt de Brocéliande. Souvent le siège de sanctuaires grecs, certaines de ces eaux furent ensuite exploitées par les Romains pour fonder de véritables complexes ressemblant à nos stations thermales actuelles : tel est le cas d’Aquae Tarbellica, appréciée des Romains pour ses eaux chaudes, et qui a donné naissance à l’actuelle ville thermale de Dax, dans les Landes, ou bien encore les thermes antiques d’Aix-les-bains, dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui.

A gauche : Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), Les thermes de Caracalla, 1899, huile sur toile, collection privée.
A droite : la Fontaine chaude de Dax. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photos: Ad Vitam.

Durant le Moyen-âge, les nombreux thermes construits par les Romains furent laissés à l’abandon après avoir été détruits lors des invasions barbares; toutefois, certains de ces complexes renaissent de leurs cendres à partir du XIIème siècle, comme celui de Plombières, dans les Vosges, près duquel une forteresse fut érigée au XIIIème siècle afin de protéger les « baigneurs contre les méchantes gens » ou bien encore ceux de Bourbon l’Archambault, en Auvergne, qui étaient autrefois dédiés au dieu guérisseur Borvo et devinrent les bains les plus célèbres de France au XIIIème siècle grâce à leur grotte abritant un vaporium. En outre, contrairement à l’idée reçue voulant que les européens de l’ère médiévale ne se lavaient pas (ou peu), les bains et l’hygiène corporelle étaient le sujet d’une grande attention au Moyen-âge, pratiqués notamment dans les fameuses étuves publiques qui se sont généralisées à partir du XIIème siècle. Tout le peuple, de la noblesse à la paysannerie, se rendait dans ces édifices pour se laver et même, comme à l’époque romaine, discuter affaires voire se restaurer. Enfin, une forme de thermalisme à visée thérapeutique commença à voir le jour à cette époque : certains thermes sont créés pour accueillir dans des bassins séparés les lépreux et les blessés de guerre, comme celui d’Ax-les-Thermes fondés par Saint-Louis en 1260.

Le bassin des ladres (lépreux) à Ax-les-Thermes. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photos : Jeunamateur.

Durant la Renaissance et le XVIIème siècle, les thermes continuent à être fréquentés, mais uniquement par les populations locales et la noblesse, et c’est à cette époque que la pratique des bains s’institutionnalise en véritables « cures » de plusieurs semaines prescrites par les médecins aux gens de la bonne société. Ainsi, la sœur de François Ier Marguerite de Navarre se prend d’engouement pour le thermalisme à Cauterets, dans les Pyrénées, qui sert même de cadre à son célèbre recueil de nouvelles l’Heptaméron publié en 1559, et Rabelais évoque les thermes de Néris-les-Bains dans Pantagruel. Au Grand siècle, le roi commença à intervenir dans la réglementation des stations thermales, et Henri IV créa en 1605 la Charte des Eaux Minérales, première base juridique d’un encadrement des stations de bains par l’Etat, ainsi que la charge de surintendant général des Eaux minérales de France, qui supervise le contrôle de la qualité de l’eau et des bains effectué par des intendants au niveau régional ou pour chaque grande station. Sous le règne de Louis XIV, les thermes sont toujours aussi populaires auprès de la noblesse, et Madame de Sévigné raconte dans ses lettres ses séjours aux thermes de Vichy, en Auvergne, et de Bourbon l’Archambault, également fréquentés par la favorite royale, la marquise de Montespan. On met en avant la propriété des eaux thermale à atténuer ou guérir de nombreux maux, comme par exemple les rhumatismes ou les paralysies, mais aussi leur vertu purificatrice, et on commence même à consommer les eaux minérales issues des sources qui alimentent ces établissements, le fait de les boire étant perçu comme encore plus important que s’y baigner. En témoignent les lettres de Madame de Sévigné, qui décrivent à merveille le rythme de vie déjà bien réglé des cures, alternant une prise des eaux médicinales censée être désagréable pour être efficace, divertissements pour adoucir les mœurs et mondanités, un modèle qui perdurera jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Palais des sources de Vichy. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0.

Néanmoins, c’est véritablement à partir du XVIIIème siècle que le thermalisme commence à prendre un nouvel essor, en étant de plus en plus contrôlé et réglementé par l’État. Signe de cette transformation des stations thermales, la charge de surintendant des Eaux minérales de France revient au premier médecin du roi à partir de 1709, et différents édits publiés tout au long de ce siècle imposent une réglementation de plus en plus stricte aux eaux commercialisées comme minérales, amorçant une transformation des stations thermales en lieux destinés aux soins médicaux. A partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, les constructions d’établissements se succèdent, autour desquels se pressent la noblesse et la bourgeoisie naissante : on peut citer les thermes de Luxeuil en Franche-Comté construits en 1762, Bourbonne-les-bains, petite ville de la Marne où un établissement thermal complète en 1783 l’hôpital royal édifié par Louis XIV en 1735, ou bien encore les thermes de Vichy reconstruits en 1787 à la demande des filles de Louis XV qui avaient trouvé l’établissement trop inconfortable. Certains bains possèdent même alors un rayonnement européen, comme par exemple ceux de Spa en Wallonie, où séjourna le tsar Pierre le Grand en 1717 et où toute la noblesse du continent se retrouve à la belle saison à partir de cette date, et qui est à l’origine du nom anglais pour désigner les thermes. Théâtres des rencontres mondaines loin des palais, les thermes retrouvent à cette époque, ainsi que le mentionnent plusieurs documents d’archives, leur rôle de lieu de diplomatie, mais aussi d’espionnage entre les différentes cours européennes, et constituent des endroits de villégiature privilégiés pour les exclus de la cour.

Hall de l’ancien établissement thermal de Spa, en Wallonie. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photos : Promeneuse7.

Mais si une seule époque devait être associée au thermalisme, c’est bien le XIXème siècle, d’abord avec l’Empire napoléonien qui contribua significativement à la popularité des villes thermales. Les membres de la famille impériale fréquentaient en effet un certain nombre d’établissements thermaux qui sont devenus incontournables à cette époque, comme par exemple la station de Plombières visitée à plusieurs reprises par Joséphine de Beauharnais et sa fille Hortense, mère du futur Napoléon III, mais aussi les thermes de Bourbonne-les-Bains dont Napoléon fit l’acquisition en 1812 pour le compte de l’État, ou bien encore ceux de Vichy où s’était rendue sa mère Laetitia en 1799 et dont il fit aménager le parc en 1812. Mais surtout, après l’interdiction des établissements de jeux et des casinos dans le Code civil promulgué en 1804, et soucieux d’empêcher que les revenus des jeux ne fuient vers d’autres villes européennes, l’Empire promulgua en 1806 une loi autorisant uniquement les villes thermales et de bains à se doter de tels établissements de jeux, contribuant dès lors à donner à ces-dernières un nouvel attrait aux yeux des populations aisées, et expliquant pourquoi on trouve encore aujourd’hui des casinos dans les villes thermales de la France.

Les anciens thermes d’Aix-les-bains. Photo par Victor Clerc. 2018

Quelques nouveaux thermes sont créés au début du XIXème siècle, comme par exemple Evian près de la Suisse en 1827; toutefois c’est un autre souverain, Napoléon III, qui fera véritablement exploser la vogue du thermalisme en France, faisant du Second Empire la période de ce qu’on pourrait qualifier de véritable « fièvre thermale ». Pour soigner ses rhumatismes et la maladie de la pierre dont il souffrait, Napoléon III fréquenta assidûment les stations thermales durant son règne, principalement Plombières, où il avait séjourné avec sa mère durant sa petite enfance, et Vichy, dont il fit la première ville thermale de France et qui se dota à cette époque de son célèbre Grand Casino inauguré en 1865. Son épouse l’impératrice Eugénie contribua elle aussi à cette mode et notamment à la popularité des villes thermales des Pyrénées comme Eaux-bonnes ou Eaux-chaudes. Ainsi, sous le Second Empire, les villes thermales devinrent de véritables cités de villégiature dotées d’hôtels, d’établissements de bains, de grands parcs, de casinos et de théâtres, et l’usage voulait que les membres de la bonne société et de la bourgeoisie passent la saison, c’est-à-dire les mois de mai à octobre, dans l’une des 200 « villes d’eau » que comptait le territoire, ce terme étant apparu pour la première fois en 1845. En 1854, l’Empereur crée la Commission des eaux minérales, marquant définitivement le passage d’un thermalisme empirique et approximatif à un thermalisme se voulant scientifique. L’État devient en outre propriétaire de sept des plus grandes stations du pays qu’il gère de manière directe ou indirecte, comme Plombières, Vichy, ou encore Luxeuil. Après l’annexion de la Savoie par la France en 1860, les sources chaudes d’Aix-les-bains sont également déclarées propriété de l’État. Enfin, Napoléon III n’hésite pas à perpétuer une nouvelle fois la tradition qui fait des thermes des lieux de diplomatie, comme le montrent les accords secrets de Plombières conclus en juillet 1858 dans la station du même nom avec l’homme d’état piémontais Camille Cavour et qui amorcent l’aide apportée par la France au royaume de Piémont-Sardaigne dans la guerre d’indépendance italienne contre l’Autriche l’année suivante.

Chalet d’aisance dans le parc thermal de Vittel. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photo : Patineurjul.

Un facteur essentiel de cet essor thermal est le développement du chemin de fer, le nombre de kilomètres de voies ferrées passant de 3 000 à 18 000 à sous le Second Empire, permettant aux stations de devenir beaucoup plus accessibles qu’auparavant. Ainsi, Enghien-les-Bains, située à onze kilomètres de Paris, devient à cette époque une destination prisée des industriels, artistes et membres de la bonne société comme la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, et des fêtes grandioses y sont organisées autour du lac. Mais d’autres stations comme Vichy ou encore Aix-les-Bains bénéficient également de l’arrivée du chemin de fer dans les années 1860. Ce mouvement se poursuivra jusqu’à la fin du XIXème siècle, avec l’ouverture de nombreuses gares dans les petites villes thermales et même la mise en place à partir de 1893 d’un « train des eaux » reliant Paris aux stations thermales des Vosges. Preuve de ce dynamisme, le nombre d’étrangers fréquentant les stations thermales françaises triple entre 1850 et 1870.

L’ancienne gare de Cauterets dans les Pyrénées. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photo : Père Igor

Cette mode du thermalisme profite bien sûr à l’expansion des villes d’eaux, qui deviennent d’importants centres urbains. Entre 1850 et 1914, Vichy passe de 1 500 à 15 000 habitants, Aix-les-bains de 3 000 à 9 000 habitants. Avec la concurrence qui s’installe, les villes d’eau ont à cœur d’éblouir les visiteurs et rivalisent d’imagination pour créer des édifices aux architectures grandioses ou pittoresques, comme par exemple les thermes du Mont-dore qui conjuguent les influences byzantines, romaines et l’art roman auvergnat, ou bien encore Vittel et son style orientaliste méditerranéen. Les spéculateurs industriels entrevoient alors tout le potentiel que représentent ces villes nouvelles, et si l’on sait à quel point les grands financiers du Second Empire ont contribué à l’édification des stations balnéaires, comme par exemple les frères Pereire avec Arcachon, ou bien le duc de Morny, demi-frère de Napoléon, avec Deauville, certains d’entre eux se sont également tournés vers les stations thermales, comme la famille Boulomié, qui fonde la station de Vittel dans les années 1850, ou bien la station thermale de Chatel-Guyon en Auvergne, créée par les frères Brosson. Dans son roman Mont-Oriol publié en 1887, Guy de Maupassant dépeint d’ailleurs les luttes âpres dont ces nouvelles villes thermales font l’objet de la part des spéculateurs financiers et immobiliers en s’inspirant de la construction de Chatel-Guyon.

Plafond de la grande galerie du premier étage des thermes du Mont-Dore, Puy-de-Dôme, France. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photo : Père Igor.

Après la défaite française contre la Prusse en 1870, la Troisième République développe un sentiment national particulièrement marqué et une volonté de prouver la supériorité de la France sur tous les plans, et les stations thermales deviennent une vitrine de la richesse culturelle et économique du pays. On s’inspire alors du modèle thermal des autres villes européennes avec des stations spécialisées en fonction des propriétés de leur eau. La Belle-époque perpétue encore le faste des villes d’eau du Second Empire, tout en développant de plus en plus l’accès des thermes aux populations moins aisées, comme les petits rentiers, les commerçants ou même les prêtres, avec la création de complexes de deuxième et troisième classe dans les stations les plus importantes. Progressivement le thermalisme thérapeutique et social favorisé par les réformes de l’entre-deux-guerres (congés payés, premières assurances sociales…) supplante le thermalisme de plaisance, et la bonne société délaisse peu à peu les villes thermales au profit des villes balnéaires. Ce thermalisme social prendra définitivement le dessus en 1947, lorsque les cures thermales deviennent remboursées par la Sécurité sociale. Aujourd’hui, le thermalisme est bien loin de susciter le même engouement qu’autrefois, et bon nombre de stations qui ont rayonné par le passé ont été contraintes de fermer ou de reconvertir leurs bâtiments. La dernière station gérée par l’État, Aix-les-bains, a été revendue à la ville en 2012. Nous reste de ce passé fastueux des monuments et un patrimoine thermal d’une grande richesse dont nous ne pouvons qu’espérer qu’il sera valorisé et protégé par les générations futures.

Ancienne buvette Cachat à Evian : étage supérieur. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0. Crédits photo : Camster.

Sources :

Marie-Ange Bugnot, « Le prototourisme médical : le thermalisme sous le Second empire ».

Carribon Carole. Un panorama de l’histoire du thermalisme en France : Authier (André), Duvernois (Pierre), Patrimoine et traditions du thermalisme, Toulouse, Privat, 1997. In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 111, N°226, 1999. Saint-Sernin de Toulouse à la fin du Moyen Age. Des reliques et des hommes, sous la direction de Dominique Porté. pp. 272-274.

Marie-Reine Jazé-Charvolin,  » Les stations thermales : de l’abandon à la renaissance. Une brève histoire du thermalisme en France depuis l’Antiquité ». In Situ [En ligne], 24| 2014, mis en ligne le 11 août 2016.

Jacques Poisson, « Le voyage aux eaux. Histoire de la desserte ferroviaire des stations thermales », Revue d’histoire des chemins de fer, 31, 2004,p. 201-234. ISSN 0996-9403

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